Les progrès de l'homme sont culturels

Publié le par lenuki

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Les progrès psychiques de l’humanité au cours des quarante ou cinquante derniers millénaires ont été d’une ampleur extraordinaire.

Ils s’expliquent par l’apparition de quatre faits absolument nouveaux dans l’histoire de l’évolution des espèces :

+ le travail, rendu possible par la découverte et l’utilisation des outils

+ le développement de la coopération entre les hommes et des échanges

+ la réalisation par la collectivité d’un patrimoine social accumulé et transmis de génération en génération

+ l’acquisition du langage et la genèse de la pensée

Chez l’animal, les progrès se manifestent sous la forme d’une modification de l’organisation biologique, dans le développement du cerveau.

homme et son milieu

Chez l’homme, les progrès de l’espèce ne se fixent pas dans un patrimoine biologique transmis héréditairement, mais dans un patrimoine social accumulé, c’est-à-dire le patrimoine constitué par l’accumulation des outils, des instruments de production, du savoir transmis de génération en génération par l’oral, puis par l’écrit, l’ordinateur, les bibliothèques, les institutions scolaires.

Texte de Lévi-Strauss :

"Claude LÉVI-STRAUSS. - C'est la distinction fondamentale pour l'ethnologie et souvent un peu embarrassante chez nous, parce que le terme de culture, qui est d'importation anglaise, n'a pas exactement le même sens traditionnel, en français, que celui que les fondateurs des sciences anthropologiques lui ont donné. La nature, c'est tout ce qui est en nous par hérédité biologique ; la culture, c'est au contraire, tout ce que nous tenons de la tradition externe et, pour reprendre la définition classique de Tylor [1] - je cite de mémoire et inexactement sans doute - enfin, la culture ou civilisation, c'est l'ensemble des coutumes, des croyances, des institutions telles que l'art, le droit, la religion, les techniques de la vie matérielle, en un mot, toutes les habitudes ou aptitudes apprises par l'homme en tant que membre d'une société. Il y a donc là deux grands ordres de faits, l'un grâce auquel nous tenons à l'animalité par tout ce que nous sommes, du fait même de notre naissance et des caractéristiques que nous ont léguées nos parents et nos ancêtres, lesquelles relèvent de la biologie, de la psychologie quelquefois ; et d'autre part, tout cet univers artificiel, qui est celui dans lequel nous vivons en tant que membres d'une société. L'ethnologie ou, au sens large, l'anthropologie, essaie de faire, dans l'ordre de la culture, la même oeuvre de description, d'observation, de classification et d'interprétation, que le zoologiste ou le botaniste le fait dans l'ordre de la nature. C'est dans ce sens, d'ailleurs qu'on peut dire que l'ethnologie est une science naturelle ou quelle aspire à se constituer à l'exemple des sciences naturelles.

G. CHARBONNIER - La culture, d'une certaine manière, doit provenir de la nature ?

C. L.-S. - Disons qu’elle implique une quantité de facteurs d'ordre naturel. Il est bien certain que dans toute société, quelle qu'elle soit, les hommes ont fondamentalement les mêmes besoins : se nourrir, se protéger contre le froid, se reproduire, d'autres encore.

G. C. – Mais pour s'élaborer ?

C. L.-S. - Dans la mesure où, précisément il s'agit de besoins fondamentaux et de besoins dont l'origine est naturelle, ils sont identiques au sein de l'espèce homo sapiens. Ce qui intéresse l'ethnologue et ce qui relève de la culture, ce sont les modulations, si je puis dire, différentes selon les sociétés et les époques, qui se sont imposées à une matière première, par définition, identique toujours et partout."

 

                                                        Georges Charbonnier, Entretiens avec Lévi-Strauss (1961)

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" En posant l'homme dans sa relation avec la nature ou dans sa relation avec l'homme, par le truchement du langage, nous posons la société. Cela n'est pas coïncidence historique mais enchaînement nécessaire. Car le langage se réalise toujours dans une langue, dans une structure linguistique définie et particulière, inséparable d'une société définie et particulière. Langue et société ne se conçoivent pas l'une sans l'autre. L'une et l'autre sont données. Mais aussi l'une et l'autre sont apprises par l'être humain, qui h'en possède pas la connaissance innée. L'enfant naît et se développe dans la société des hommes. Ce sont des humains adultes, ses parents, qui lui inculquent l'usage de la parole. L'acquisition du langage est une expérience qui va de pair chez l'enfant avec la formation du symbole et la construction de l'objet. Il apprend les choses par leur nom; il découvre que tout a un nom et que d'apprendre les noms lui donne la disposition des choses. Mais il découvre aussi qu'il a lui-même un nom et que par là il communique avec son entourage. Ainsi s'éveille en lui la conscience du milieu social où il baigne et qui façonnera peu à peu son esprit par l'intermédiaire du langage.

À mesure qu'il devient capable d'opérations intellectuelles plus complexes, il est intégré à la culture qui l'environne. J'appelle culture le milieu humain, tout ce qui, par-delà l'accomplissement des fonctions biologiques, donne à la vie et à l'activité humaine forme, sens et contenu. La culture est inhérente à la société des hommes, quel que soit le niveau de civilisation. Par la langue, l'homme assimile la culture, la perpétue : ou la transforme. Or comme chaque langue, chaque culture met en œuvre un appareil spécifique de symboles en lequel s'identifie chaque' société. La diversité des langues, la diversité des cultures, leurs changements, font apparaître la nature conventionnelle du symbolisme qui les articule. C'est en définitive le symbole qui noue ce lien vivant entre  l'homme, la langue et la culture. "

                                                                       Benvéniste  Problèmes de linguistique générale, t.I

 

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Ce glissement d’un plan à un autre représente un événement fondamental dans l’histoire des évolutions de l’espèce humaine : à des fonctions d’acquisition et de transmission individuelles de type organique, tels l’hérédité et l’instinct, se substituent des progrès collectifs d’ordre social, culturel.

Ainsi, chez l’homme, ce ne sont pas les changements biologiques qui jouent le rôle capital, mais les progrès sociaux. Et quelques millénaires d’histoire sociale et culturelle ont permis à l’homme de réaliser plus de progrès que les centaines de millions d’années d’évolution biologique des animaux.

L’homme est donc un être de culture au point qu’il est impossible de démêler en lui ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel. Il n’existe aucune nature biologique de l’homme qui serait séparée de toute culture. En lui, tout est fabriqué et tout est naturel.

 

« Il n'est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d'embrasser dans l'amour que d'appeler table une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain sont en réalité des institutions.
Il est impossible de superposer chez l'homme une première couche de comportements que l'on appellerait "naturels" et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l'homme, comme on voudra dire, en ce sens qu'il n'est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l'être simplement biologique, et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d'échappement et par un génie de l'équivoque qui pourraient servir à définir l'homme »

                                                                                 Merleau-Ponty

merleau ponty

Publié dans la culture

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