A qui la faute?

Publié le par lenuki

Le trader et la morale 

Chacun peut légitimement se sentir concerné par la fraude à la Société générale puisque ce non­bénéfice de 4,9 milliards d’euros représente un manque de rentrées fiscales considérable, équivalent à 13 fois le montant annuel d’une augmentation de 200 € du mini­mum vieillesse. Le flot d’analyses et de commentaires ne manque pas d’intérêt. Comme souvent, peu savent, tout le monde a son idée et presque personne ne pose le problème au fond.
Finalement, peu comprennent précisément le langage et les pra­tiques financières en cause dans cette affaire. Ils sont encore moins nombreux à maîtriser les systèmes d’information complexes permet­tant de suivre et contrôler adminis­trativement ces opérations, sans même parler des rapports concrets entre « front », « middle » et « back­office». Quant à ces traders, ce mi­crocosme qui suscite toutes sortes de fantasmes, ils semblent même étrangers à leurs collègues de la banque traditionnelle.
En revanche, tout le monde a une idée définitive sur l’événement. Le
nombre d’« experts» a fleuri qui se déclarent tous autorisés à affirmer leur analyse. Pourtant, à lire le rap­port de Christine Lagarde, on ne peut qu’être frappé surtout par son extrême prudence pour répondre à la demande urgente du premier ministre.
Tous ne prennent pas ces précautions; on y va de la faute de la banque, de sa direction générale, du mode de vie et de gestion des traders, des systèmes de contrôle, de ceux qui les ont construits ou utilisés.
Les marchés financiers sont mis en cause, comme la « financiari­sation » de l’économie, le capita­lisme de casino, la mondialisation et pourquoi pas le réchauffement de la planète. Tous les tenants de la théorie du complot se réveillent : certains y voient tour à tour une volonté de la banque de cacher des pertes plus importantes, l’activité néfaste de réseaux de complicités internes, un assaut pour mettre en difficulté la banque
au profit de prédateurs externes. Sans doute aura-t-on un jour une analyse fine et dépassionnée de ce qui s’est passé. Mais avant cela on ne peut qu’être surpris de l’allure des réactions. Seulement 13 % des Français considèrent que la responsabilité principale est celle du trader alors que 50 % l’attribuent à la banque. Quant aux fi­nanciers, ils renvoient dos à dos la banque et son trader (autour de 20 %) alors que 32 % considèrent que les premiers responsables sont les services de gestion des risques et de contrôle.
Il y a quand même quelque chose d’étonnant, quand un conducteur ivre rate un virage, à toujours accuser la voiture… Les marchands d’armes à feu ne peuvent être considérés comme les seuls responsables des meurtres passionnels. Il y a un moment où une société de la responsabilité ne peut se dissoudre dans une société de la réparation (ou de la
capacité à les payer). Bien entendu, quand un tel événement survient, une entreprise doit revoir ses mo­des de fonctionnement qui seront d’ailleurs toujours imparfaits. Il n’y a que les technocrates qui peu­vent croire aux systèmes parfaits. Mais la première question qui se pose dans cette affaire est bien celle d’une fraude, d’opérations truquées, comme semble l’avoir reconnu l’auteur lui-même.
On peut « sociologiser » et « con­textualiser » le problème à l’envi, on peut se scandaliser des dérives d’un système ou de cultures pro­fessionnelles, de l’insuffisance des contrôles ou du silence de tous ceux qui auraient dû savoir : il n’en reste pas moins vrai que la question centrale reste celle de la morale. Même dans des systèmes sophistiqués, la personne décide de ses actes ; même dans l’exubérance, les traders n’en restent pas moins volens nolens des personnes qui posent des actes. C’est sur cette question morale individuelle qu’il faudrait faire porter l’intelligence des commentaires. Elle concerne tout le monde.

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