L'embryon, le foetus et l'enfant

Publié le par lenuki

Ne confondons pas l'embryon, le foetus et l'enfant
LE MONDE | 22.02.08 | 13h33

n foetus né sans vie peut désormais être déclaré à l'état civil quels que soient son poids et la durée de la grossesse, a jugé la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 6 février. La justice se fait ainsi le relais de l'émotion des couples qui veulent faire reconnaître l'existence juridique de leur foetus mort-né.
La médecine de la reproduction, la médecine anténatale et l'échographie ont bouleversé le rapport qu'entretient la femme enceinte avec l'enfant qu'elle attend : aujourd'hui, la rencontre entre les futurs parents et le foetus se fait bien avant la naissance. Ce savoir nouveau sur celui qui vit en soi perturbe les repères traditionnels sur les notions de début et de fin de vie. Quand la grossesse s'achève par la mort précoce, les couples traversent l'épreuve douloureuse du deuil.
La circulaire du 30 novembre 2001 permet la déclaration à l'état civil d'un mort-né à partir de vingt-deux semaines d'aménorrhée (4 mois et demi de grossesse) ou dès lors que son poids est supérieur à 500 g : il s'agit du seuil de viabilité théorique défini par l'Organisation mondiale de la santé. Cette inscription sociale du "né sans vie" a incité à une plus grande reconnaissance de ces deuils si particuliers. Le couple qui perd son foetus à partir de ce terme peut, s'il le souhaite, au-delà de l'obligatoire déclaration à l'état civil, le prénommer, le faire inscrire sur le livret de famille, faire inhumer ou crématiser le corps, et la femme bénéficier de son congé maternité. Cette circulaire ne concerne pas les deuils de grossesses interrompues plus tôt.
Dans les maternités où il existe une unité de médecine anténatale, des psychiatres et des psychologues travaillent en équipe avec les obstétriciens et les sages-femmes pour accueillir les patientes enceintes confrontées au décès annoncé de leur foetus, à un terme précoce de la grossesse. Il s'agit, pour les femmes enceintes qui apprennent la malformation, la maladie ou la mort de l'enfant qu'elles portent en elles, de les amener à penser l'impensable : accepter la mort en soi, "se représenter l'irreprésentable" qu'est la mort, enfin mettre en place des rituels pour clore cette fin de vie en tentant de tracer, pour la suite, un parcours lisible face au flou douloureux de cette mort périnatale.
Le travail de deuil, chacun aura à le faire à son rythme, à sa manière, sur plusieurs mois ou plusieurs années pour certains. Mais cette évolution est parfois entravée par l'absence de place donnée à ces morts, par l'impossibilité de les inscrire dans la filiation et de les prénommer, de leur donner un lieu de repos au sein d'un cimetière.
Dans certaines communes, la maternité travaille en lien étroit avec les services de la mairie et du cimetière pour que les couples qui le souhaitent puissent réaliser des obsèques et inscrire ce décès survenu à un terme précoce (avant vingt-deux semaines) sur un "registre des embryons". A l'inverse, dans de nombreuses autres communes où il n'existe pas de tel registre, il demeure très complexe d'obtenir un droit d'inhumer pour un corps n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration à l'état civil.
RECONNAISSANCE DU DEUIL
Cependant, l'arrêt de la Cour de cassation du 6 février, en offrant la possibilité de déclarer un foetus "né sans vie" à l'état civil quels que soient son poids et la durée de la grossesse, crée la confusion en appelant enfant et parents ceux qui n'ont pas pu l'être. Rappelons que, médicalement, le stade d'embryon se termine après la formation des organes (12e semaine de grossesse), après on parle de foetus.
L'inscription à l'état civil avant vingt-deux semaines entretiendrait le trouble. En revanche, leur possible inscription symbolique à une mairie, sur des "registres des embryons" et "registres des foetus" serait salutaire. Cette distinction entre embryon, foetus et enfant viendrait garantir le fait que la société autorise l'inscription symbolique de la fin d'une grossesse survenue avant vingt-deux semaines sans remettre en question le principe d'une recherche sur les embryons conçus in vitro et l'interruption volontaire de grossesse jusqu'à quatorze semaines.
L'inscription à l'état civil ne doit concerner que ceux qui sont morts à vingt-deux semaines ou plus, seuil qui correspond au terme de leur viabilité. Pour autant, chacun pourrait, s'il le souhaite, offrir un rituel et bénéficier d'une reconnaissance de son deuil. De l'embryon à l'enfant, il y a un continuum marqué par des étapes qu'il convient de respecter.

René Frydman, chef de service de la maternité Antoine-Béclère ;
Muriel Flis-Trèves
, psychiatre psychanalyste ;
Sophie Gellman
, psychologue.

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