Tolérance

Publié le par lenuki

 

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Aujourd’hui, le terme de « tolérance » renvoie  de manière « évidente » (?) à un comportement positif, ouvert aux différences comme à autant de possibilités de s’enrichir de ce qui n’est pas soi ou identique à soi. Il va sans dire que l’incitation à la tolérance est alors communément répandue, au point qu’on ne sait plus ce que tolérer signifie et implique. Or, le terme de « tolérance » a d’abord un sens négatif, dans la mesure où il implique de supporter, à son corps défendant, des idées, des croyances ou des comportements qu’on n’approuve pas, voire qu’on juge erronés.

Le terme de « tolérance » n’apparaît en Europe qu’au 16e siècle, et il a de prime abord une dimension religieuse : être tolérant, c’est s’engager alors à ne pas persécuter autrui pour ses convictions ou pratiques religieuses. Aussi les défenseurs de la tolérance cherchèrent-ils d’abord à empêcher l’Etat d’imposer par la force une religion dominante, en prônant une réforme de la législation. Un  régime tolérant est donc un régime qui n’impose rien aux citoyens dans le domaine religieux (en ce sens, toute théocratie est nécessairement intolérante, puisqu’elle prône la loi de Dieu comme fondement des lois humaines, et ce par le recours à une religion dominante).

Tout ce qui précède semble ne pas poser de problème aujourd’hui et, pourtant, il a fallu un contexte culturel particulier et une législation idoine pour que le principe de tolérance puisse être accepté et mis en œuvre. Or un tel contexte ne se commande pas. Aux 16e et 17e siècles, certains penseurs chrétiens expliquaient que Dieu ne jugerait pas les âmes sur leurs opinions religieuses, mais sur leur respect ou non des principes évangéliques. Alors au nom de quoi se massacrer pour de telles opinions ? Ces penseurs partaient donc du principe que les différences dogmatiques entre les Eglises étaient insignifiantes, d’où le conclusion suivante : aucune Eglise n’a de raison d’être en tant qu’entité distincte. Difficile, néanmoins, d’en convaincre les Eglises elles-mêmes… ! C’est pourquoi dans certaines sociétés, pourtant considérées à l’époque comme tolérantes, l’athéisme était interdit.


D’où un sens nouveau donné au terme de « tolérance » : celui d’indifférence. Mais entendons-nous bien : s’il convient de ne pas se massacrer pour des opinions religieuses, cela ne signifie pas pour autant que ces questions soient sans importance, ou indifférentes. Ainsi, le premier sens de tolérance est celui de non-persécution : je suis tolérant si je ne persécute personne et ne suis pas agressif à l’égard d’idées ou de comportements que je n’aime pas ou que je désapprouve (l’actualité n’est-elle pas éloquente à ce propos, puisqu’on continue, dans le monde, à tuer et à persécuter au nom de certaines religions ?). Ici, la tolérance est d’abord négative : elle consiste à supporter ce qui gêne, voire choque désagréablement. Ainsi parle-t-on en médecine de tolérance à un médicament quand l’organisme le supporte sans réactions néfastes pour lui, ou a-t-on nommé les bordels des « maisons de tolérance » parce que, s’ils n’allaient pas dans le sens de la morale ou de la vertu, ils pouvaient néanmoins être supportés au nom de considérations sociales comme l’hygiène par exemple (un « moindre mal »).

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Mais être tolérant, cela ne signifie pas pour autant être indifférent au sens de ne pas avoir d’opinion ou, pire, de ne pas porter un jugement, comme si juger était nécessairement illégitime. Or penser, n’est-ce pas juger ? La tolérance nous obligerait-elle, alors, à renoncer à penser ? De même, être tolérant, serait-ce supporter tous les comportements, même les plus néfastes pour la dignité de la personne humaine, ou qui y attenteraient ? Serait-ce accepter toutes les idées, même les plus nuisibles, c’est-à-dire celles qui incitent à la haine de l’autre ou qui prônent la violence, ou la ségrégation raciale, sans chercher à les combattre ? Ne serait-ce pas une absurdité ?

La tolérance, ainsi conçue, ne relèverait-elle pas du contexte consumériste et hédoniste dans lequel nous baignons aujourd’hui, témoignant d’une absence de responsabilité et de convictions ? Ne dit-on pas qu’il n’y a pas de vérité, que toutes les opinions se valent, c’est-à-dire que rien n’a d’importance, préoccupés que nous sommes de profiter au mieux de l’instant présent, en toute tranquillité ? Avoir des idées, les exprimer et chercher à en démontrer la vérité, ce serait alors être intolérant ?  Affirmer que toutes les opinions se valent, ne serait-ce pas laisser la place aux fanatiques intolérants, qui s’engouffreraient dans les failles de notre tolérance réduite à n’être qu’indifférence à ce qui n’est pas de l’ordre de notre plaisir immédiat ? Or n’avons-nous pas le droit, voire le devoir d’avoir des convictions et de les soutenir ? Une tolérance illimitée ne se retournerait-elle pas contre elle-même, puisqu’elle consisterait à tolérer toutes les intolérances qui veulent la détruire ?

Mais chacun de nous n’a-t-il pas, en lui, un potentiel d’intolérance, qu’il convient d’essayer de combattre, à défaut de pouvoir l’éradiquer ? Ainsi voulons-nous, par exemple, que tout le monde partage nos croyances, parce que cela nous permettrait de nous sentir psychologiquement en sécurité, non menacés par des croyances par trop divergentes des nôtres… !

Pour accéder à l’esprit de tolérance, ne faut-il pas, alors, commencer par se tolérer soi-même, en supportant tout ce qui, en nous, ne nous plaît pas, ou ce que nous cherchons à refouler parce que cela ne correspond pas à la haute idée que nous avons de nous-mêmes, de nos idées et de nos croyances ?

Au fond, ne faut-il pas commencer par « dialoguer avec soi-même » pour apprendre à dialoguer avec les autres et leurs idées ou croyances que nous désapprouvons ? C’est-à-dire à penser, tout simplement ?

Locke tolérance

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