« Rien ne vaut rien. Il ne se passe jamais rien et cependant tout arrive. Mais cela est indifférent. » Nietzsche

Publié le par lenuki

 

 

C’est l’expression de l’ « à quoi bon ? » du nihilisme que Nietzsche résume ainsi :

« Les valeurs supérieures se déprécient. Les fins manquent ; il n’est pas de réponse à cette question : à quoi bon ? » (Nietzsche  Volonté de Puissance)

Cet « à quoi bon ? » conduit à ce que Nietzsche nomme le nihilisme, qui évoque immédiatement les idées de négation, de violence, de suicide et de désespoir, voire l’idée de vide et de néant (cf. nihil en latin signifiant « rien »). Nihilisme qui s’explique lui-même par ce que Nietzsche appelle « la mort de Dieu », c’est-à-dire la mort des idoles qui sonnent creux et qu’il convient de sonder, puis de détruire « à coups de marteau ».

 

Le contexte

Tout d’abord la guerre de 1870 à laquelle Nietzsche a participé comme infirmier. Cette guerre marque une charnière entre la fin d’un monde et l’aube d’un autre : « Le grand raz de marée de la barbarie est à nos portes. Un siècle de barbarie sans précédent commence et la science sera à son service. » (Nietzsche). Ce qui, en effet, va caractériser les années 1880-90, c’est l’avènement de la société industrielle qui va se développer rapidement sous l’impulsion de la science et des progrès techniques qu’elle permet. Or Nietzsche remet en question l’idée même de progrès, idée fausse selon lui (cf. la barbarie dont il pressent le surgissement, et qui va caractériser tout le vingtième siècle). De plus, les progrès de la science s’accompagnent d’une idéologie, le scientisme, selon lequel la science permet de répondre à toutes les questions que se pose l’homme, qu’elles soient physiques ou métaphysiques. Ce qui entraîne une déchristianisation et une critique de la religiosité, c’est-à-dire de toutes les idoles (Etre, Valeur, Vérité, Justice, Vertu, etc.) qui ont jalonné l’histoire de la philosophie en constituant des absolus qui ne s’imposent pas comme évidents. C’est cette remise en question radicale que Nietzsche nomme « la mort de Dieu ». Ce qui meurt avec Dieu (que symbolise son idée), c’est le fondement même de la morale chrétienne, et de toutes les valeurs supérieures qu’elle implique. Dieu « mort » laisse un grand vide (la mort de l’Etre suprême conduit au néant), vide que l’homme peine à remplir, d’où le sentiment d’abandon qui l’habite et la déréliction qui l’accompagne. « Ce que je raconte, c’est l’histoire des deux prochains siècles. Je décris ce qui viendra, ce qui ne peut manquer de venir : l’avènement du nihilisme » (Nietzsche).

Le nihilisme

Le nihilisme ne constitue pas à proprement parler une philosophie, c’est plutôt un sentiment qui s’éprouve et qui affecte l’homme, le sentiment qu’il n’y a pas de réponse à tous les « à quoi bon ? » qui taraudent la conscience humaine (à quoi bon rechercher la vérité ? à quoi bon préférer la vérité au mensonge ou à l’illusion ? à quoi bon faire le bien ? à quoi bon compromettre son bonheur ou sa liberté pour être vertueux ? etc.).  Ce nihilisme manifeste une dépréciation des valeurs supérieures traditionnelles (Le Bien, le Beau, le Vrai, le Juste, etc.) qui caractérisent le platonisme et toute l’histoire de la philosophie idéaliste depuis, avec le sentiment que la vie n’a pas de sens, c’est-à-dire pas de but et de signification. Le monde est donc absurde, et l’homme ressent à la fois ennui et fatigue d’être, avec l’impression que tout est vain.

« Rien ne vaut rien. Il ne se passe jamais rien et cependant tout arrive. Mais cela est indifférent. »  Nietzsche   Ainsi parlait Zarathoustra

L’homme est alors désorienté, puisque la dévaluation qu’entraîne le nihilisme sape aussi bien la morale que l’esthétique, voire la connaissance (remise en question de la vérité comme absolu). Il s’agit bien d’une dépression, comme absence de désir ou d’appétit, pour laquelle tout est indifférent, puisque plus rien n’a de sens.

Mais un Dieu qui existe de toute éternité peut-il mourir ? Bien évidemment non, puisque ce qui meurt,  c’est ce qui a une naissance historique. Quand Nietzsche affirme que Dieu est mort, il ne veut pas seulement dire qu’il n’existe pas (athéisme), mais aussi qu’il a une origine historique sous la forme d’idoles sacralisées par l’homme et qui dévalorisent la vie, valeur suprême aux yeux de Nietzsche.

Car sa philosophie est un  hymne à la vie, la vie libérée, la vie aérée et aérienne des hauteurs, la vie créatrice toujours tendue vers son propre dépassement. Certes la vie est une force aveugle, mais elle émerge selon lui du chaos, et acquiert un sens en se dépassant vers le Surhomme, elle devient désirable en s’arrachant alors à l’absurdité et à la vanité originelle de toutes choses. Le Surhomme constitue un être synthétique qui réunit la force des barbares et la créativité des grands spirituels, ce que Nietzsche résume en une admirable formule : « un César qui aurait l’âme du Christ » ! Cet être accomplit la vie comme volonté de puissance, qui n’est pas domination des autres, car le bonheur du Surhomme  consiste à affirmer la vie en soi et à dépasser le vouloir-vivre aveugle en volonté de puissance, comme victoire sur soi et dépassement de soi-même.

Or avec le nihilisme, la négation (et non l’affirmation) gagne le cœur de la vie. C’est en effet une volonté négative qui, au nom de valeurs supérieures (l’au-delà par exemple) dévalorise la vie terrestre, (ici-bas) et la réduit à néant. Le premier moment du nihilisme est constitué de deux  éléments (vie niée en étant comparée à une autre, fictive) alors que dans le second moment de celui-ci ne demeure qu’un seul élément (le néant, qui occupe tout) et même le mot de valeur disparaît, surtout lorsqu’on parvient à l’ultime passivité (rien ne vaut, ni la vérité, ni Dieu, depuis qu’il est mort, ni le bien ni même le désir de dire dans quel état on se trouve). Ainsi à la volonté de puissance, comme principe d’affirmation, de négation ou de réaction se substitue une absence de force, de désir d’être et de vie. On ne souhaite même pas la mort, car ce serait encore exprimer un désir, ce serait encore agir. D’où l’indifférence à ce qui arrive puisque cela reste extérieur à soi, puisque cela n’est que de l’ordre du phénomène et non pas de l’événement : tout est alors égal, rien ne vaut la peine, le monde n’a pas de sens, le savoir étouffe. Tout est vain et dans ces conditions, l’attrait du vide est le seul sentiment qui retienne voire fascine. Quand on vient d’apprendre « la mort de Dieu », toutes les questions se font jour, qui concernent les valeurs et la vie.

Mais rien n’est perdu puisque :

« Il faut avoir en soi du chaos, pour accoucher d’une étoile qui danse » (Nietzsche)

 

 

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