Le pouvoir politique peut-il échapper à l'arbitraire?

Publié le par lenuki

 

Analyse des termes du sujet

 

Pouvoir : faculté d’exercer sur un homme une domination telle qu’on obtienne de lui des actes ou un comportement qu’il n’aurait pas réalisés spontanément.

C’est aussi la capacité de contraindre et d’exiger.

Pouvoir politique : l’ensemble des règles ou des lois qui organisent et permettent la vie collective des hommes dans la société. En ce sens, le pouvoir politique est la puissance autorisée et efficace dans laquelle des décisions légales ou légitimes sont prises au sein d’un groupe social.

Synonyme d’Etat (qui est une notion du cours).

Politique désigne alors ce qui est commun par opposition à privé ou particulier.

Le pouvoir politique est considéré comme légitime lorsqu’il suscite l’adhésion de la société.

Peut-il : est-il capable de, en a-t-il le pouvoir ? N’est-on pas convié indirectement à s’interroger alors sur les limites du pouvoir politique, qui pourrait ne pas avoir le pouvoir d’échapper à l’arbitraire et donc n’aurait qu’un pouvoir limité sur lui-même ?

Echapper à : se soustraire, se dérober à, éviter. Au fond, l’arbitraire serait-il inéluctable ?

Recherche d’une problématique

Ainsi posée, la question porte sur l’essence du pouvoir politique. En effet, demander s’il peut échapper à l’arbitraire (éviter celui-ci), c’est se demander si l’arbitraire n’est pas inscrit en lui, dans sa nature propre. Mais qu’est-ce qu’un pouvoir politique arbitraire ?

Est arbitraire ce qui est laissé à la libre décision d’une personne ou d’un groupe, en ne relevant d’aucunes règles ou lois préétablies. En ce sens, arbitraire qualifie un pouvoir qui n’a pas de fondement rationnel. Bref, un pouvoir est arbitraire lorsqu’il ne dépend que de la volonté, du bon vouloir, voire du caprice d’un seul homme (ou d’un groupe particulier) sans souci de justice ou de légalité.

Or légitimer un pouvoir politique, n’est-ce pas chercher à lui permettre d’échapper à l’arbitraire, en lui donnant un fondement rationnel ? Mais suffit-il qu’il existe un tel fondement pour que ce pouvoir puisse échapper à l’arbitraire ? Ainsi la nature (comme fondement) ne peut-elle conduire le pouvoir politique à promouvoir les forts, abusant de leur force pour contraindre les « faibles » à une obéissance absolue (par la peur ou la crainte) ?

La loi et la justice selon la nature :

« Selon la nature, tout ce qui est plus mauvais est aussi plus laid, comme de souffrir l’injustice, tandis que, selon la loi, c’est de la commettre. Ce n’est même pas le fait d’un homme de subir l’injustice, c’est le fait d’un esclave, pour qui la mort est plus avantageuse à la vie, et qui, lésé et bafoué, n’est pas en état de se défendre, ni de défendre ceux auxquels il s’intéresse. Mais, selon moi, les lois sont faites pour les faibles et par le grand nombre. C’est pour eux et dans leur intérêt qu’ils les font et qu’ils distribuent les éloges et les blâmes ; et, pour effrayer les plus forts, ceux qui sont capables d’avoir l’avantage sur eux, pour les empêcher de l’obtenir, ils disent qu’il est honteux et injuste d’ambitionner plus que sa part et que c’est en cela que consiste l’injustice, à vouloir posséder plus que les autres ; quant à eux, j’imagine qu’ils se contentent d’être sur le pied d’égalité avec ceux qui valent mieux qu’eux. Voilà pourquoi, dans l’ordre de la loi, on déclare injuste et laide l’ambition d’avoir plus que le commun des hommes, et c’est ce qu’on appelle injustice. Mais je vois que la nature elle-même proclame qu’il est juste que le meilleur ait plus que le pire et le plus puissant que le plus faible. »

Platon, Gorgias

De même, fonder le pouvoir politique sur Dieu n’a-t-il pas conduit la monarchie à l’abus de pouvoir, voire à l’absolutisme ?

Le pouvoir absolu. :

« Toute puissance, toute autorité réside dans la main du roi. Tout ce qui se trouve dans l’étendue de nos Etats nous appartient. Les rois sont seigneurs absolus. J’ai décidé de ne pas prendre de Premier ministre, rien n’étant plus indigne que de voir, d’un côté, toutes les fonctions et de l’autre, le seul titre de roi. Il fallait faire connaître que mon intention n’était pas de partager mon autorité. »

Louis XIV, 1661. In Hatier, Histoire. Cycle 3, 2000

 


« Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du Ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle : mais la puissance paternelle a ses bornes ; et dans l’état de nature, elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d’une autre origine que la nature. Qu’on examine bien et on la fera toujours remonter à l’une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s’en est emparé ; ou le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui à qui ils ont déféré l’autorité.
La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent : en sorte que, si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts, et qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l’autorité la défait alors : c’est la loi du plus fort.
Quelquefois l’autorité qui s’établit par la violence change de nature ; c’est lorsqu’elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu’on a soumis : mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler et celui qui se l’était arrogée devenant alors prince cesse d’être tyran.
La puissance, qui vient du consentement des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime, utile à la société, avantageux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites ; car l’homme ne doit ni ne peut se donner entièrement sans réserve à un autre homme, parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C’est Dieu, jaloux absolu, qui ne perd jamais de ses droits et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour le maintien de la société que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l’un d’eux ; mais il veut que ce soit par raison et avec mesure, et non pas aveuglément et sans réserve afin que la créature ne s’arroge pas les droit du créateur. Toute autre soumission est le véritable crime de l’idolâtrie. Fléchir le genou devant un homme ou devant une image n’est qu’une cérémonie extérieure, dont le vrai Dieu qui demande le cœur et l’esprit ne se souvient guère qu’il abandonne à l’institution des hommes pour en faire, comme il leur conviendra des marques d’un culte civil et politique, ou d’un culte de religion. Ainsi ce ne sont point ces cérémonies en elles-mêmes, mais l’esprit de leur établissement, qui en rend la pratique innocente ou criminelle. Un Anglais n’a point de scrupule à servir le roi le genou en terre ; le cérémonial ne signifie que ce qu’on a voulu qu’il signifiât ; mais livrer son cœur, son esprit et sa conduite sans aucune réserve à la volonté et au caprice d’une pure créature, en faire l’unique et le dernier motif de ses actions c’est assurément un crime de lèse-majesté divine au premier chef. »

Diderot L’Encyclopédie Article : l’Autorité politique

 

 

Ne resterait plus, alors, qu’à le fonder sur le peuple, à l’instar de la démocratie. Encore faudrait-il, pour qu’un el pouvoir échappe à l’arbitraire, que la démocratie soit directe et non pas représentative. Sinon, entre deux élections, le pouvoir politique ne risque-t-il pas d’être confisqué au profit d’une minorité qui gouverne, qui décide, non plus en fonction de la volonté générale ou du bien commun, mais plutôt en fonction d’intérêts particuliers ?

 

Une problématique possible :

Une constante de la réflexion politique : la question de la légitimité du pouvoir politique, mais aussi celle des moyens de réguler l’exercice d’un tel pouvoir. L’Histoire montre, en effet, que l’exercice du pouvoir s’accompagne presque toujours d’une perversion qui pousse celui qui le détient à en abuser, que ce soit pour consolider sa domination ou pour l’utiliser à des fins particulières, au détriment de l’intérêt général. C’est cet usage abusif du pouvoir que l’on qualifie d’arbitraire, au sens où il n’est justifié ni politiquement, ni moralement d’une manière qui soit acceptable par tout citoyen (en dehors, bien évidemment, de toute menace ou de toute pression, physique ou morale). On peut donc se demander comment limiter l’exercice d’un tel pouvoir ? Cette limitation sera-t-elle extérieure au pouvoir lui-même, ou au contraire sera-t-elle inscrite en son sein ? De plus, la finalité du pouvoir politique consiste-t-elle à le prendre et à vouloir le conserver à tout prix (cf. Machiavel) ou, au contraire, à permettre à des individus aux intérêts particuliers et donc contradictoires de pouvoir coexister de manière pacifique ? Dans lequel de ces deux cas le pouvoir politique est-il le plus légitimé ? La fonction du pouvoir politique n’est-elle pas, justement, de répondre à l’arbitraire de la violence première (la « guerre de tous contre tous » selon Hobbes) en instaurant le « monopole d’une violence légitime » (Max Weber) dont disposerait l’Etat et qui régulerait, à partir d’une Constitution et de l’institution de lois auxquelles tous les citoyens seraient également soumis, les rapports potentiellement conflictuels des individus au sein de la société ? Enfin, si la politique n’est pas une science, mais un art (de la décision et de l’action, par exemple), comment pourrait-elle échapper à tout arbitraire ? Si elle était une science, en effet, elle pourrait être rationnelle et donc échapper à l’arbitraire : mais dans quelle mesure une telle nécessité objective serait-elle conciliable avec la liberté des individus ? Une telle rationalité du pouvoir serait-elle souhaitable ? Ne serait-elle pas in-humaine ? Si la politique était un art, en revanche, elle comporterait certes une part irréductible d’arbitraire. Mais est-ce à dire pour autant qu’elle ne pourrait y échapper, au moins partiellement, en se mettant au service du bien commun ou de l’interêt général ? Mais là encore, qui en décidera et selon quelle légitimité ?

 

Un plan possible

 

1.L’abus de pouvoir comme constante du pouvoir politique

La tyrannie comme perversion du pouvoir monarchique (Aristote) ou démocratique (Platon)

La finalité du pouvoir politique : la conservation de lui-même (Machiavel)

Hobbes : la nécessité d’un pouvoir fort et absolu

Le totalitarisme : Arendt

La violence au cœur du pouvoir lui-même : Max Weber

Pascal : justice et force

Marx : l’autorité au service de la classe dominante

Est-ce à dire pour autant que le pouvoir politique ne puisse ni ne doive être régulé, s’il veut se maintenir, voire se renforcer (cf. la stabilité au cœur de l’Etat, status en latin) ?

2.Comment donc régler le pouvoir politique ?

Même chez Hobbes, la souveraineté est limitée (cf. droit de résistance des citoyens, si le pacte est rompu)

Locke, critique de Hobbes : la supériorité de la loi naturelle par rapport aux lois civiles

Pufendorf : l’utilité commune et les lois fondamentales de l’Etat comme limitation

Les bornes du pouvoir souverain selon Rousseau

La limitation de la souveraineté selon Benjamin Constant

Mais de telles imitations permettent-elles au pouvoir politique d’échapper à tout arbitraire ?

 

3.La politique : une science ou un art ?

Si la politique est une science : elle est rationnelle, et comme telle ne peut être arbitraire. Mais serait-ce souhaitable (cf. les échecs, les impossibilités, voire l’inhumanité de toutes les organisations qui se voulaient rationnelles de la société, utopies ou communisme, par exemple) ?

Si la politique est un art, elle est non rationnelle, et comporte donc de l’arbitraire. Est-ce à dire qu’on ne puisse limiter cet arbitraire, autant que faire se peut ?

Par un remède constitutionnel : la séparation des pouvoirs selon Montesquieu

Par des mécanismes de contrôle démocratique du pouvoir (vigilance des citoyens)

Par l’avènement d’un quatrième pouvoir, qui puisse contrôler les trois autres : les médias en général

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