A propos des Droits de l'Homme

Publié le par lenuki69

Droits de l'homme, un défi, par Louise Arbour
LE MONDE | 10.12.07 | 13h51

ous entrons aujourd'hui dans une année de commémoration de la Déclaration universelle des droits de l'homme, dont le soixantième anniversaire sera célébré le 10 décembre 2008. Cet événement mobilisera l'ensemble de l'Organisation des Nations unies autour des idéaux de justice et d'égalité promus par ce texte, qui a façonné les relations internationales et donné corps aux aspirations universelles des peuples à la liberté et à la dignité. Saluant cette extraordinaire réalisation humaine qu'est la Déclaration, cette commémoration doit néanmoins être l'occasion de rappeler qu'il faut encore que les droits humains deviennent pour tous une réalité.
Nous avons certes progressé sur la voie qu'avaient ouverte les pères de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Aujourd'hui, un vaste réseau d'outils internationaux est mis au service des principes énoncés par la Déclaration en matière de droits civiques, politiques, économiques, sociaux et culturels. Tous les Etats ont ratifié au moins un des neuf principaux traités internationaux sur les droits humains, et 80 % en ont ratifié au moins quatre. Le processus d'adoption des normes édictées par la Déclaration, progressivement intégrées dans la législation et mises en application, se déploie tant au plan international que national, impliquant de plus en plus d'entités régionales.
Pourtant, malgré la prise en compte par la loi et malgré les déclarations d'intention, la mise en pratique des droits humains à travers le monde laisse encore largement à désirer. La corruption, la discrimination et l'inégalité sont partout latentes, et ces phénomènes sont sans doute aggravés par de nouvelles formes d'oppression et d'injustice sociale.
Ces insuffisances sont particulièrement manifestes dès lors qu'il est question de rendre justice aux victimes de la discrimination et des violations des droits de l'homme. Trop de systèmes judiciaires, par manque de professionnalisme ou minés par un lourd passé de pressions et de corruption, se révèlent incapables de prendre en charge juridiquement les crimes commis et d'offrir des recours aux victimes. L'impunité, ainsi que l'absence de véritable lien entre les institutions étatiques et la société civile, frustre la demande de justice et risque de perpétuer des schémas d'exclusion et de violence.
Face à des défis si répandus et récurrents, la vitalité, la pertinence et l'applicabilité des principes de la Déclaration ont pu se trouver remises en question. Cependant, ce n'est pas la viabilité des idéaux de la Déclaration qui est ici en cause, mais bien la détermination des gouvernements à s'acquitter de leurs obligations en la matière et à concilier des objectifs contradictoires avec la pauvreté des moyens mis en oeuvre. Seules des instances gouvernementales légitimes, indépendantes et efficaces permettront de préserver les normes de justice, de participation effective et de pleine responsabilité requises par les droits de l'homme. Seules des institutions fiables garantiront l'application de la justice sociale, en veillant à ce que l'accès à l'éducation, à la santé, au logement, à l'alimentation et autres besoins fondamentaux soit équitablement réparti, dans le souci de libérer les hommes de la misère et des discriminations. S'appuyant sur la croyance erronée selon laquelle les principes universels seraient incompatibles avec le respect du pluralisme, la spécificité culturelle, voire la libre entreprise, une autre forme de critique a pris pour cible le concept même d'universalité sur lequel repose la Déclaration. Certains sceptiques prétendent que les droits civiques et politiques, tels qu'ils y sont énoncés, correspondent uniquement aux traditions et aux objectifs occidentaux, et ne sont pas aussi largement partagés que le croient leurs défenseurs. Quant aux critiques libéraux, ils sont embarrassés par les droits économiques et sociaux de la Déclaration, qu'ils considèrent comme autant d'entraves à la liberté du marché, ou bien comme trop contraignants pour l'Etat, voire comme les deux à la fois. Enfin, certains ont instrumentalisé ces critiques pour monopoliser les privilèges et le pouvoir, au mépris des droits de tous.
Loin de chercher à bâillonner le pluralisme et d'être le produit d'une officine libéralo-occidentale - adapté à certaines cultures, mais incompatible voire néfaste à d'autres -, la Déclaration est le résultat d'une concertation de théoriciens issus des horizons les plus divers, qui ont puisé dans un large éventail de traditions juridiques, religieuses et politiques, à la recherche d'un modèle commun acceptable par tous. Le point d'équilibre ainsi atteint il y a soixante ans doit aujourd'hui encore être notre objectif constant, par-delà la diversité de nos approches.
Si nous cherchons à progresser sur ce terrain d'entente, les Etats et tous les acteurs concernés devraient se concentrer plutôt sur les moyens de lever les obstacles qui entravent encore la réalisation généralisée des droits de l'homme.
La concrétisation des idéaux de justice et d'égalité pour tous doit rester notre priorité si nous voulons honorer l'esprit et la lettre de la Déclaration. Au-delà des professions de foi, il est de notre pleine responsabilité de donner à tous la possibilité de faire valoir leurs droits. Cette mission doit être accomplie avec le sentiment d'urgence qu'elle exige, comme une obligation collective de promouvoir et de garantir les droits humains par la loi.
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