L'ethnonationalisme

Publié le par lenuki

Le retour de l'ethnonationalisme, par Thomas Ferenczi

LE MONDE | 10.04.08 | 13h49  •  Mis à jour le 10.04.08 | 13h49

 

A en juger par les difficultés qui affectent la région des Balkans, le nationalisme n'est pas mort en Europe. "Une nation s'éteint quand elle ne réagit plus aux fanfares", affirme Cioran dans ses Syllogismes de l'amertume. Ce temps n'est pas encore venu sur le Vieux Continent. La conception "ethnique" de la nation, fondée sur l'idée de racines communes, par opposition à la conception "élective" ou "civique", qui repose sur un choix politique, semble avoir de beaux jours devant elle.

Faut-il s'en inquiéter ? Oui, si on se souvient que le nationalisme est à l'origine de deux guerres mondiales et qu'il est porteur d'affrontements meurtriers. Est-il possible de l'éradiquer pour entrer enfin dans une ère "post-nationale", qui donne naissance à un monde multiculturel et cosmopolite ? Non, répond l'historien américain Jerry Z. Muller, dans la dernière livraison de la revue Foreign Affairs (mars-avril 2008), en soulignant "le pouvoir durable du nationalisme ethnique" en Europe et ailleurs.

"Qu'il soit politiquement correct ou non, l'ethnonationalisme continuera de modeler le monde au XXIe siècle", affirme-t-il. Pourquoi ? Parce qu'il correspond à des tendances permanentes de l'esprit humain et qu'à côté de ses "effets destructeurs" il présente aussi des "avantages importants" comme "source de cohésion et de stabilité". Au lieu d'entretenir des illusions sur sa disparition, apprenons à le regarder en face. "Sous une forme ou sous une autre, estime l'auteur, il restera présent pendant de nombreuses générations."

Pour l'historien américain, l'histoire du XXe siècle en Europe a été, sous l'effet de l'ethnonationalisme, un "long et douloureux processus de désagrégation ethnique", dont le démantèlement de l'ex-Yougoslavie n'est que la dernière étape. Le paradoxe est que les deux guerres n'ont pas eu pour conséquence d'inverser le mouvement. Après la première, souligne l'auteur, les frontières ont été modifiées pour coïncider avec les populations. Après la seconde, ce sont les populations qui ont été déplacées pour coïncider avec les frontières.

Le résultat est que "l'idéal ethnonationaliste a été largement réalisé", conclut Jerry Z. Muller, qui ajoute : "On pourrait soutenir que, si l'Europe a retrouvé son harmonie depuis la seconde guerre mondiale, ce n'est pas en raison de l'échec du nationalisme ethnique mais en raison de son succès." Il est vrai, note-t-il, que l'immigration a recréé dans plusieurs pays des mélanges ethniques. Ceux-ci pourraient entraîner, selon lui, "une résurgence des identités ethnonationales traditionnelles".

La vision de l'Europe suggérée par l'historien américain ressemble à celle que propose le politologue espagnol Josep M. Colomer dans un essai intitulé Grands empires, petites nations (Routledge, 2007, pour la traduction anglaise). Pour lui, les petites nations, ethniquement homogènes, offrent une double garantie d'efficacité et de démocratie, mais, qu'elles soient formellement indépendantes, comme dans les Balkans, ou largement autonomes, comme en Espagne, elles ne sont viables que dans le cadre d'un vaste "empire" qui assure leur prospérité économique.

Si l'Union européenne est l'un de ces empires, elle apparaît alors comme une juxtaposition de communautés ethniques dont chacune s'arc-boute sur son identité en refusant toute forme de métissage. Cette Europe-là n'est pas vraiment celle de l'ouverture aux autres et du brassage des peuples que laissait présager le projet communautaire à sa naissance, il y a un demi-siècle. La préservation d'une certaine paix est peut-être à ce prix, mais celle-ci ne saurait s'accommoder d'une idéologie qui, sous couvert de respect des différences, encourage l'intolérance et la xénophobie.

 

Publié dans Sciences politiques

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