"Les Habits neufs du président Mao"

Publié le par lenuki

 En cette période où les Jeux Olympiques vont se dérouler en Chine, peut-être ne serait-il pas inutile de relire l'excellent livre de Leys, concernant la "Révolution culturelle", dont traite brièvement cet article du Monde....


 

En 1971, un nom jusqu'alors inconnu dans les études sur une Chine moderne aux comportements byzantins, même pour le monde communiste, surgit avec une affirmation brutalement simple : "La "révolution culturelle", qui n'eut de révolutionnaire que le nom, et de culturel que le prétexte tactique initial, fut une lutte pour le pouvoir menée au sommet entre une poignée d'individus derrière le rideau de fumée d'un fictif mouvement de masses", écrivait Simon Leys en salve d'ouverture à son ouvrage au titre en lui-même sacrilège, Les Habits neufs du président Mao, sous-entendant que les atours du Grand Timonier ne correspondaient pas à l'idée qu'on s'en faisait.

Il faut se replacer dans l'époque pour avoir une idée de l'énormité de cette proclamation. Les cercles pensants français, européens et américains - dans cet ordre d'enthousiasme - baignent alors dans une atmosphère de dévotion où intelligentsia de gauche et conservateurs partagent ou vont partager des prosternations appuyées devant la statue de commandeur de Mao Zedong. En 1966, le Commandeur a secoué les piliers du temple marxiste-léniniste en lançant deux tonitruantes injonctions à une foule juvénile : "Il est juste de se révolter !" et "Feu sur le quartier général !" C'est l'embrasement de la "grande révolution culturelle prolétarienne".

Chacun, en Occident, s'arrange pour faire revenir à sa propre sauce cette nouveauté effectivement absolue d'un chef communiste s'acharnant à démolir l'appareil de son pouvoir. Nouveau maître de la révolution ; poète déchirant du trait de son pinceau (pourtant ampoulé) les oripeaux du soviétisme... "Mao est un humaniste", avait déjà diagnostiqué, au début des années 1960, François Mitterrand ; "un phare de l'humanité" dirait, à sa mort, un Valéry Giscard d'Estaing, au nom de la République française.

UN OUVRAGE RÉALISTE

Dans ce pieux concert, l'affirmation de Simon Leys put faire l'effet d'un coup de cornet à piston au milieu d'une sacristie. "Révolution culturelle ? Gigantesque imposture", lance-t-il d'emblée. Suivent 314 pages d'une époustouflante vivisection de ce qu'"on" croyait alors savoir sur la Chine - des démarquages de poncifs sur des feuilles de papier calque fournies par des services de propagande de Pékin eux-mêmes déboussolés.

"On" avait pour nom certaines des têtes pensantes les plus en vue, ayant notamment pignon sur le plus compromis des deux trottoirs de la rue d'Ulm. La sacristie réagit dans la componction. Les milieux académiques firent corps pour convaincre Pierre Ryckmans (véritable nom de Simon Leys), le spécialiste de la peinture chinoise la plus raffinée qui avançait sous le pseudonyme aux accents segaléniens, de s'en aller aux antipodes dispenser son enseignement classique. Rares dans la presse furent les signatures en défense de l'ouvrage. Plus fréquentes des assertions croyant voir dans les sources de Simon Leys des officines "réactionnaires". En fait, Leys ne faisait "que" lire sans lunettes déformantes la presse du régime et ses émanations, toutes bien assez éloquentes pour permettre de dresser de premiers constats.

On sait la suite. Leys, qui avait prédit la chute de Lin Biao, le dauphin de Mao, se vit donner raison juste après la mise en librairie de son livre. Entre les lignes des Habits neufs se devine le putsch de 1976 qui renverserait les tenants de la "révolution culturelle". Déjà, Leys dépeint en Zhou Enlai non pas un alter ego distingué et raisonnable de Mao, mais "le plus haut exécutant (d'un) régime" coupable d'avoir infligé d'indicibles souffrances au pays.

Feu Maria-Antonietta Macciocchi, à l'époque signataire d'un glorieux pavé maoïste (De la Chine, Seuil, 1971), mettra vingt ans à nous avouer en privé son dépit, le regard balayant le bar d'un hôtel de luxe de Shanghaï dans les années 1990. Plus tenace, Alain Peyrefitte, également décédé, s'en tint à jamais à sa première déclaration d'admiration (Quand la Chine s'éveillera..., Fayard, 1973) pour un gouvernement enclin à se présenter en énergique porte-parole exclusif du pays tout en cultivant sa spécificité culturelle comme une défense naturelle.

Leys poursuivit par la suite une carrière littéraire faisant exploser toute camisole de "sinologue" dont on voudrait encore l'affubler. Mais il fallut attendre 1998 pour qu'un auteur chinois lui aussi inconnu, Zhe Yongping (peut-être un pseudonyme de militaire), puisse à son tour écrire et imprimer cette formule, en Chine populaire, dans un ouvrage publié discrètement : "Tout le monde sait que la "révolution culturelle" n'avait rien de culturel ni rien de révolutionnaire." Tout le monde ? Oui, sauf... le régime. Du moins se refuse-t-il toujours à en tirer les conclusions qui s'imposent sur le génial artisan de ce drame.


Les Habits neufs du président Mao, Simon Leys
Livre de poche "Biblio essais", 1989 (réédition), 380 p., 6,95 €

 

Francis Deron

Article paru dans l'édition du 07.08.08

 

 

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