Que nous apprend l'histoire ?

Publié le par lenuki

histoire et leçon

Présupposés de la question et esquisse d’une problématique :

Ce qui s’apprend, c’est un savoir, une connaissance. Donc, ici, l’histoire est à prendre au sens de « connaissance du passé humain », selon la définition qu’en donne H.I. Marrou :

"Qu'est-ce donc que l'histoire ? Je proposerai de répondre : l'histoire est la connaissance du passé humain.

Nous disons «connaissance» et non pas, comme tels autres, «narration du passé humain» ou encore «œuvre littéraire visant à le retracer» ; sans doute, le travail historique doit normalement aboutir à une œuvre écrite... Mais il s'agit là d'une exigence de caractère pratique (la mission sociale de l'historien...) : de fait, l'histoire existe déjà, parfaitement élaborée dans la pensée de l'historien avant même qu'il l'ait écrite ; quelles que puissent être les interférences des deux types d'activité, elles sont logiquement distinctes.

Nous dirons connaissance et non pas, comme d'autres, «recherche» ou «étude»..., car c'est confondre la fin et les moyens ; ce qui importe c'est le résultat atteint par la recherche : nous ne la poursuivrions pas si elle ne devait pas aboutir ; l'histoire se définit par la vérité qu'elle se montre capable d'élaborer. Car, en disant connaissance, nous entendons connaissance valide, vraie : l'histoire s'oppose par-là à ce qui serait, à ce qui est représentation fausse ou falsifiée, irréelle du passé, à l'utopie, à l'histoire imaginaire..., au roman historique, au mythe, aux traditions populaires ou aux légendes pédagogiques - ce passé en images d'Epinal que l'orgueil des grands États modernes inculque, dès l'école primaire à l'âme innocente de ses futurs citoyens.

Sans doute cette vérité de la connaissance historique est-elle un idéal, dont, plus progressera notre analyse, plus il apparaîtra qu'il n'est pas facile à atteindre : l'histoire du moins doit être le résultat de l'effort le plus rigoureux, le plus systématique pour s'en rapprocher. C'est pourquoi on pourrait peut-être préciser utilement «la connaissance scientifiquement élaborée du passé», si la notion de science n'était elle-même ambiguë : le platonicien s'étonnera que nous annexions à la «science», cette connaissance si peu rationnelle, qui relève tout entière du domaine de la «doxa» ; l'aristotélicien, pour qui il n'y a de «science» que du général sera désorienté lorsqu'il verra l'histoire décrite... sous les traits d'une «science du concret»... Précisons donc que si l'on parle de science à propos de l'histoire, c'est par opposition à la connaissance vulgaire de l'expérience quotidienne, une connaissance élaborée en fonction d'une méthode systématique et rigoureuse, celle qui s'est révélée représenter le facteur optimum de vérité."

Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique, Éditions du Seuil, Paris, 1954.

 histoire par l'image

L’histoire est donc connaissance d’événements, de faits, connaissance de ce qui change dans les sociétés humaines, c’est-à-dire de ce qui ne se ramène ni à des répétitions, ni à des lois.

Mais, alors, justement, si rien ne se répète, s’il n’y a pas de lois en histoire, que pourrait-elle bien nous apprendre ? Comment, par exemple, pourrait-on ne pas recommencer à commettre les mêmes erreurs ? Donc, si l’histoire enseigne, qu’enseigne-t-elle ? Et peut-on tirer des leçons de cet enseignement ?

Clio est la muse de l’histoire. Le but premier de l’histoire comme enquête sur des évènements passés (cf. historia, qui signifie enquête en grec) avait pour but de retenir les hauts faits d’individus ou de peuples pour les donner en exemple aux autres. Il s’agissait de perpétuer, dans la mémoire collective, les actes héroïques. En ce sens, l’histoire est lutte contre l’oubli.

Mais on peut légitimement se demander si le but d’une connaissance est bien d’enseigner à se comporter moralement, à pratiquer la vertu. Ne serait-ce pas, plutôt, la vérité, indépendamment de toute considération morale ? Donc la question pose indirectement le statut de l’histoire comme connaissance : est-elle bien une science ? En effet, ce qui caractérise une science, c’est qu’elle permet de prévoir. Or, pour ce faire, elle a besoin de se fonder sur des phénomènes répétables en laboratoire, qui peuvent donner lieu à l’établissement de lois. Est-ce bien le cas de l’histoire, puisque les événements y sont uniques ?

Enfin, enseigner, c’est apprendre, instruire, transmettre un savoir. Le bon enseignant est aussi un bon pédagogue, celui qui tout à la fois incite à réfléchir, mais aussi à agir. Or, peut-on dire cela de l’histoire ?

Si l’histoire nous apprend quelque chose, cela ne peut s’avérer utile que pour l’avenir. Quel rapport peut-il donc y avoir entre l’histoire, dont l’objet est le passé, et l’avenir, qui n’est pas encore écrit et qui donc ne peut donner lieu à aucune connaissance ? La question, en ce sens, n’engage-t-elle pas une certaine conception du temps, et du rapport qu’y entretiennent ses trois dimensions : la passé, le présent et l’avenir ?

Donc, sous-jacent, s’esquisse le second sens de l’Histoire comme cours des événements, comme processus, comme devenir, ce qui met en jeu les trois dimensions mentionnées ci-dessus. Que serait l’histoire sans cette Histoire qui la fonde comme connaissance ?

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Plan possible :

L’histoire a-t-elle une fonction pédagogique ?

Comment le pourrait-elle alors que la première impression que donne l’Histoire comme cours des événements, c’est le désordre ou le chaos ? C’est-à-dire le sentiment que, sous forme de « bruits et de fureur » (Shakespeare) les choses se répètent dans le non-sens, comme si chaque situation historique ne valait que pour un temps et un espace géographique donnés. C’est pourquoi les « philosophies de l’Histoire » ont toujours eu pour finalité de déceler un ordre, c’est-à-dire un sens, sous ce chaos des événements.

Pour Hegel, c’est la Raison qui ordonne le monde, sous le chaos des passions humaines (cf. ce qu’il nomme « ruse de la Raison »).

Pour Marx, c’est l’avènement de la société sans classe par la médiation de cette étape provisoire qu’est la lutte des classes, lutte dont le sens peut échapper à ceux qui la vivent sans la comprendre.

En ce sens, si l’histoire s’apprend, s’enseigne (cf. les cours d’histoire, ou l’importance qu’elle revêt comme connaissance dans un lieu comme Sciences Po, par exemple), peut-on dire pour autant qu’elle nous apprenne à agir, à nous comporter moralement, à être meilleurs, à éviter les conflits et les guerres qui se répètent inlassablement dans une indifférence inquiétante ?

histoire passé et futur

Les expériences historiques sont-elles utiles et utilisables ?

Qui dit pédagogie, dit réflexion, dit amélioration, progrès. S’il n’y a pas de leçons du passé (« Ce qu'enseignent l'expérience et l'histoire, c'est que les peuples et gouvernements n'ont jamais rien appris de l'histoire. » Hegel), ne peut –on pas soutenir, cependant, que l’histoire nous permet de comprendre la singularité humaine, de déterminer, sous la contingence des faits historiques les choix posés par des hommes, donc une certaine liberté ? L’histoire ne nous apprend-elle pas, alors, à mesurer les risques que peuvent comporter ces choix et à les soupeser, à les réfléchir ?

De plus, l’histoire ne révèle-t-elle pas le degré de conscience que les peuples prennent d’eux-mêmes ? En ce sens, n’est-elle pas source d’identité ? le présent ne s’éclaire-t-il pas du passé ?

L’histoire ne témoigne-t-elle pas de notre dimension sociale vivante nous reliant les uns aux autres ?

Donc, étudier ou enseigner l’histoire, ne serait-ce pas mettre l’accent sur la capacité créatrice de l’homme qui veut s’émanciper ? la finalité de l’histoire (dans ses deux acceptions) ne serait-ce pas, au fond, l’apprentissage de la liberté ?

 

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