La philosophie dans l'éducation de l'enfant Les Essais Livre I chapitre 26

Publié le par lenuki

petit prince

 

 

Tout d'abord quelques extraits de ce chapitre qui ont trait, de près ou de loin, à la philosophie et que je commenterai ultérieurement :

 

« Car il me semble que les premiers discours de quoi on lui doit abreuver l’entendement, ce doivent être ceux qui règlent ses mœurs et son sens, qui lui apprendront à se connaître, et à savoir bien mourir et bien vivre. Entre les arts libéraux[1], commençons par l’art qui nous fait libres. »

« Si nous savions restreindre les appartenances[2] de notre vie à leurs justes et naturelles limites, nous trouverions que la meilleure part des sciences qui sont en usage sont hors de notre usage ; et en celles mêmes qui le sont, qu’il y a des étendues et enfonçures[3] très inutiles, que nous ferions mieux de laisser là, et, suivant l’institution de Socrate, borner le cours de notre étude en icelles, où faut l’utilité. »

« On a grand tort de la[4] peindre inaccessible aux enfants, et d’un visage renfrogné, sourcilleux et terrible. Qui me l’a masquée de ce faux visage pâle et hideux ? Il n’est rien plus gai, plus gaillard, plus enjoué, et à peu que je ne dise folâtre. Elle ne prêche que fête et bon temps. Une mine triste et transie montre que ce n’est pas là son gîte. »

« L’âme qui loge la philosophie doit, par sa santé, rendre sain encore le corps. Elle doit faire luire jusques au-dehors son repos et son aise [….] La plus expresse marque de la sagesse, c’est une éjouissance constante ; son  état est comme des choses au-dessus de la lune[5] : toujours serein. »

« Puisque la philosophie est celle qui nous instruit à vivre, et que l’enfance y a sa leçon, comme les autres âges, pourquoi ne la lui communique-t-on ? […] On nous apprend à vivre quand la vie est passée. Cent écoliers ont pris la vérole avant que d’être arrivés à leur leçon d’Aristote, de la tempérance. […] C’est ce que dit Epicure au commencement de sa lettre à Ménécée : « Ni le plus jeune refuie à philosopher, ni le plus vieil s’y lasse. » Qui fait autrement, il semble dire ou qu’il n’est pas encore saison d’heureusement vivre, ou qu’il n’en est plus saison. Pour tout ceci, je ne v eux pas qu’on emprisonne ce garçon. Je ne veux pas qu’on l :’abandonne à l’humeur mélancolique d’un furieux maître d’école. Je ne veux pas corrompre son esprit à le tenir à la géhenne et au travail, à la mode des autres, quatorze ou quinze heures par jour, comme un portefaix. Ni ne trouverais bon, quand par quelque complexion solitaire et mélancolique on le verrait adonné d’une application trop indiscrète à l’étude des livres, qu’on la lui nourrît ; cela les rend ineptes à la conversation civile et les détourne de meilleures occupations. Et combien ai-je vu de mon temps d’hommes abêtis par téméraire avidité de science ? […] Au nôtre, un cabinet, un jardin, la table et le lit, la compagnie, le matin et le vêpre, toutes heures lui seront unes, toutes places lui seront étude ; car la philosophie qui, comme formatrice des jugements et des mœurs, sera sa principale leçon, a ce privilège de se mêler partout.  […] Ce n’est pas une âme, ce n’est pas un corps qu’on dresse, c’est un homme ; il n’en faut pas faire à deux. Et, comme dit Platon, il ne faut pas les dresser l’un sans l’autre, mais les conduire également comme un couple de chevaux attelés à même timon. »

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Les origines des arts libéraux sont lointaines. Chez les anciens Grecs, se distinguaient ceux qui devaient travailler pour vivre et ceux qui pouvaient étudier et pratiquer la philosophie, la rhétorique, la dialectique, les mathématiques, etc. Durant la République et l’Empire romains, le terme trivium désigna un cycle d’études que les élèves devaient suivre dans les écoles de grammaire et de rhétorique, comprenant, outre ces deux disciplines, la dialectique. Le terme quadrivium fut employé pour la première fois au VIe siècle par Boèce, poète et philosophe latin, ministre de Théodoric le Grand (empereur des Ostrogoths et des Romains).Autre écrivain et ministre célèbre de Théodoric, Cassiodore fut un des premiers à parler des « sept arts libéraux » : il présenta l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique comme parties de la philosophie.

Dans l’Occident médiéval, les arts libéraux redevinrent à l’honneur.

C’est durant la période carolingienne que l’enseignement du trivium se développa, dans les écoles monastiques et les cathédrales. À partir de la fin du Xe siècle, se développa également l’enseignement du quadrivium. Au XIIe siècle, la redécouverte de la philosophie d’Aristote, devenu grande référence des lettrés médiévaux, favorisa l’enseignement et la pratique des arts libéraux dans les Universités, notamment de la rhétorique et de la dialectique. La grammaire incluait la littérature. Dès lors les arts libéraux comprirent sept matières bien précises : la grammaire, la rhétorique, la dialectique, arts du discours ( trivium) et l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, la musique, arts des mathématiques et du symbole ( quadrivium).

Au XVIe siècle, cet enseignement se poursuivit, par exemple à la Sorbonne, à Paris.

 

[2]  Dépendances

 

[3] Approfondissements, résultats de creusements, d’enfoncements, d’où détails

 

[4] La philosophie

 

[5] CF. le monde supralunaire selon Aristote, les astres étant éternels et immuables, c’est-à-dire non soumis au devenir et au changement, qui caractérisent les êtres sensibles du monde sublunaire.

 

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