Le divertissement selon Pascal

Publié le par lenuki

  

         

                           

                             

                          Double sens du divertissement chez Pascal

 

Premier sens : stratagème permettant inconsciemment à l'homme d'esquiver la conscience de sa misère (sa nature mortelle, son éloignement de Dieu, seul susceptible de le sauver). Solution : se distraire le plus possible. Cf :

“Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passion, sans affaires, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir.”

Mais si le divertissement est une fuite, une esquive de l'homme face à sa condition, il reste positif en ceci qu'il suppose la conscience de la mort, qui est le signe de la grandeur de l'homme. Mais le divertissement peut aussi être négatif, passif.

 

Second sens : la fuite du présent :

Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé pour l’arrêter, comme trop prompt : si imprudents que nous errons dans des temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient ; et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons [laissons échapper] sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent, d’ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu’il nous afflige, et s’il nous est agréable nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver.

Que chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent, et si nous y pensons ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin.

Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

                                                                                                                                        Pensées 

 

« C 'est celui  « des jeunes gens qui vivent tous dans le bruit, dans le divertissement et dans la pensée de l'avenir ». C'est un divertissement qui, loin de nous la montrer, masque la vanité du monde. A travers les buts illusoires que nous poursuivons, nous laissons le temps nous échapper. Nous sommes alors incapables de fixer notre pensée sur l'instant présent. Ainsi, nous nous condamnons à ne pas être heureux, puisque le bonheur devrait être un état actuel.

 

Cf. la conception du temps selon Saint Augustin : le passé n'est plus, le futur n'est pas encore, et le présent nous échappe dès qu'il advient en devenant passé.

« Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore. Et pourtant j’affirme hardiment, que si rien ne passait, il n’y aurait point de temps passé ; que si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir, et que si rien n’était, il n’y aurait point de temps présent. Or, ces deux temps, le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ? Pour le présent, s’il était toujours présent sans voler au passé, il ne serait plus temps ; il serait l’éternité. Si donc le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé, comment pouvons-nous dire qu’une chose soit, qui ne peut être qu’à la condition de n’être plus ? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce qu’il tend à n’être pas ?

Or, ce qui devient évident et clair, c’est que le futur et le passé ne sont point ; et, rigoureusement, on ne saurait admettre ces trois temps : passé, présent et futur ; mais peut-être dira-t-on avec vérité : Il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de l’avenir. Car ce triple mode de présence existe dans l’esprit ; je ne le vois pas ailleurs. Le présent du passé, c’est la mémoire ; le présent du présent, c’est l’attention actuelle ; le présent de l’avenir, c’est son attente. Si l’on m’accorde de l’entendre ainsi, je vois et je confesse trois temps ; et que l’on dise encore, par un abus de l’usage : Il y a trois temps, le passé, le présent et l’avenir ; qu’on le dise, peu m’importe ; je ne m’y oppose pas : j’y consens, pourvu qu’on entende ce qu’on dit, et que l’on ne pense point que l’avenir soit déjà, que le passé soit encore. »

                                                                   Saint Augustin, Les Confessions, Livre XI

Le divertissement selon Pascal est donc paradoxal : à la fois ce qui nous ôte du malheur et ce qui nous empêche d'accéder au bonheur.

Il s'oppose donc au divertissement au sens antique d'otium, qui n'a rien d'un loisir au sens populaire, parce qu'il est l'accomplissement de la nature pensante de l'homme qui s'incarne dans l'étude (alors qu'il est fuite de la pensée chez Pascal).

 

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