Etat et laïcité : Locke

Publié le par lenuki69

Voici un texte du philosophe empiriste anglais Locke, qui n'a rien perdu de son actualité, pour peu qu'on y réfléchisse. La laïcité est en effet un moyen, pour l'Eat, d'instaurer un espace public commun, le plus neutre possible, afin de permettre à tous de pouvoir s'y exprimer. Loin donc de menacer la liberté d'expression, il en est la condition sine qua non...
L'autorité politique ne peut ni ne doit forcer les consciences. En revanche, il lui appartient de préserver les intérêts de  l'ensemble des citoyens. Par conséquent, les  individus ne peuvent être sanctionnés pour la manifestation de leurs convictions religieuses aussi longtemps que celles-ci ne constituent aucunement une menace pour l'ordre public.
 "Le port d'une chape ou d'un surplis ne peut pas plus mettre en danger ou menacer la paix de l'Etat que le port d'un habit ou d'un manteau sur la place du marché ; le baptême des adultes ne détermine pas plus de tempête dans l'Etat ou sur la rivière que le simple fait que je prenne un bain [...]
Prier Dieu dans telle ou telle attitude ne rend en effet pas les hommes factieux ou ennemis les uns des autres ; il ne faut donc pas traiter cela d'une autre manière  que le port d'un chapeau ou d'un turban ; et pourtant, dans un cas comme dans l'autre, il peut s'agir d'un signe de ralliement susceptible de donner aux hommes l'occasion de se compter, de connaître leurs forces, de s'encourager les uns les autres et de s'unir promptement en toute circonstance. En sorte que,  si on exerce sur eux une contrainte, ce n'est pas parce qu'ils ont telle ou telle opinion sur la manière dont il convient de pratiquer le culte divin, mais parce qu'il est dangereux qu'un grand nombre d'hommes manifestent ainsi leur singularité quelle que soit par ailleurs leur opinion. Il en irait de même pour toute mode vestimentaire par laquelle on tenterait de se distinguer du magistrat  (1 et de ceux qui le soutiennent ; lorsqu'elle se répand et devient un signe de ralliement pour un grand nombre de gens qui, par là, nouent d'étroites relations de correspondance  et d'amitié les uns avec les autres, le magistrat ne pourrait-il pas en prendre ombrage, et ne pourrait-il pas user de punitions pour interdire cette mode, non parce qu'elle serait illégitime, mais à raison des dangers dont elle pourrait être la cause ? Ainsi un habit laïc peut avoir le même effet qu'un capuchon de moine ou que toute autre pratique religieuse".

 John  Locke, Essai sur la tolérance  (1667), trad. Jean Le Clerc, Ed. Garnier Flammarion, 1992, pp 110 et 121.

NOTE 1 : Le magistrat est ici le représentant et le symbole de l'autorité politique, laquelle a pour mission de préserver les intérêts de tous ceux qui sont soumis à sa juridiction.

Publié dans politique et morale

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