De la synthèse du génome entier d'une bactérie

Publié le par lenuki

Une équipe américaine synthétise le premier génome entier d'une bactérie
LE MONDE | 25.01.08 | 14h34  •  Mis à jour le 25.01.08 | 14h34

rique après brique, Craig Venter assemble les bases d'une vie synthétique. Le site de la revue Science a mis en ligne, jeudi 24 janvier, la description par le généticien américain et son équipe de l'assemblage chimique et du clonage du génome entier d'une bactérie, Mycoplasma genitalium. Ce tour de force permet à Craig Venter de se rapprocher un peu plus de l'objectif affiché : au printemps 2007, il a déposé une demande de brevet pour la création d'une bactérie artificielle, Mycoplasma laboratorium, dont il espère faire un jour une "usine biochimique" capable de produire de l'éthanol ou de l'hydrogène.
L'entreprise n'a rien d'irréaliste, même si de nombreuses étapes restent à franchir. Assisté du Prix Nobel de médecine (1978) Hamilton Smith, Craig Venter a déjà à son actif la synthèse, en 2003, d'un virus fonctionnel, PhiX174. Mais une particule virale n'est pas à proprement parler vivante : il lui faut, pour se reproduire, profiter de la machinerie des cellules qu'elle envahit. L'ADN circulaire de PhiX174 n'était en outre constitué que de 5 386 paires de bases, éléments unitaires de la structure de l'ADN. Le génome de M. genitalium, choisi pour sa simplicité, comporte, lui, pas moins de 582 970 paires de bases.
Synthétiser cette molécule, la plus longue jamais construite de main humaine, constitue en soi un exploit technique. "Cela représente 37 millions d'atomes de carbone, d'hydrogène, d'oxygène, d'azote et de phosphore connectés les uns aux autres de façon univoque, salue Philippe Marlière, du Génoscope d'Evry. Mais on n'a pas encore franchi le cap symbolique qui consistera à faire s'exprimer ce génome au sein d'une cellule bactérienne."
Pour synthétiser ce génome, dont la séquence était déjà connue, les chercheurs de l'Institut Venter (Rockville, Maryland) ont divisé le travail en cinq étapes. Ils ont tout d'abord défini et synthétisé 101 portions d'ADN, qui se recoupaient partiellement les unes les autres. In vitro, ils ont rabouté ces portions trois par trois, pour obtenir des huitièmes de génome, puis ces fragments ont été accouplés pour atteindre des quarts de génome. Cet ADN était cloné, c'est-à-dire reproduit à de multiples exemplaires, par la machinerie cellulaire de la bactérie Escherichia coli.
Ensuite, en raison d'interférences probables avec le propre génome d'E. coli et de la trop grande taille des molécules d'ADN, ce travail d'assemblage a été confié à une levure, Saccharomyces cerevisiae. Elle a pu accoler les quarts de génome, puis les demi-génomes qu'on lui fournissait, parachevant la synthèse.
Pour s'assurer du caractère véritablement artificiel du résultat final, l'équipe du Venter Institute avait inséré des fragments d'ADN jouant le rôle de filigrane. Par ailleurs, pour rendre M. genitalium inoffensive, elle a supprimé un gène d'adhérence aux cellules de mammifère.
La prochaine étape consistera à transférer ce génome artificiel dans l'enveloppe d'une bactérie, afin de s'assurer qu'il est bien "viable". En juin 2007, Craig Venter a déjà annoncé dans Science être parvenu à transplanter le génome entier d'une bactérie, Mycoplasma mycoides, dans une de ses cousines, Mycoplasma capricolum. La greffe d'ADN avait parfaitement pris. Reste à effectuer la même démonstration avec son génome synthétique.
"Introduire cet ADN-là peut être problématique", note Antoine Danchin, directeur du département génomes et génétique à l'Institut Pasteur. L'ADN est en effet une molécule en forme de double hélice torsadée, qui s'enroule sur elle-même. "Son degré d'enroulement modifie le repliement général", explique Antoine Danchin, ce qui a un impact à la fois sur l'encombrement du génome dans la cellule, mais aussi sur la capacité des gènes à s'exprimer correctement. Or le génome synthétique a été cloné dans une levure, qui présente un environnement très différent de celui d'une bactérie.
La nouvelle percée du Venter Institute rend plus tangible une crainte exprimée par certains chercheurs vis-à-vis du séquençage d'agents pathogènes. Antoine Danchin s'était ainsi inquiété de la publication du génome du virus de la variole, éradiquée depuis 1977. "Les travaux de Venter montrent qu'il devient techniquement possible de reconstituer ce génome à partir de sa séquence, publique", dit-il.
Même si plusieurs étapes restent encore à franchir pour ressusciter ce virus mortel, dont l'ADN comprend 180 000 paires de bases, il est désormais crédible d'agiter cette menace à des fins terroristes. Les autorités, qui ont refusé de détruire les derniers stocks de variole aux Etats-Unis et en Russie et ne se sont pas interdit de décrypter son ADN quand il était encore temps, n'ont pas d'autre choix que d'entretenir des stocks de vaccin.
Conscient que la biologie synthétique soulève des questions éthiques et de sécurité, Craig Venter a pris l'initiative de constituer un groupe de réflexion, qui a abouti en octobre 2007 à la publication d'un rapport sur la "gouvernance de la génomique synthétique". Ce document propose des stratégies de contrôle des activités des laboratoires. Il indique que la synthèse du génome de la variole sera "difficile". Mais pas impossible.

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