Le retour des autodafés?

Publié le par lenuki

Au secours, on brûle les livres !, par Marek Halter
LE MONDE | 15.02.08 | 13h37  •  Mis à jour le 15.02.08 | 13h38


Boycotter ou pas la littérature israélienne, voilà la question qui secoue l'intelligentsia italienne. Passant quelques jours au pays de Dante, j'ai été horrifié à la lecture des journaux. Comment pouvais-je étouffer ma rage devant ceux qui, en ce début du XXIe siècle, s'attaquent encore aux livres dans notre vieille Europe !

Quand un groupe communiste de Turin autour du philosophe Gianni Vattimo et de Valentino Parlato, le père fondateur du journal Il Manifesto, a lancé une pétition pour le boycott des écrivains israéliens, invités d'honneur cette année de la Foire internationale du livre de Turin, les mêmes que l'on retrouvera en mars au Salon du livre de Paris, à quoi pensaient-ils ? Aux Palestiniens ? A ceux qui veulent leur Etat à côté d'Israël ou à ceux qui veulent la destruction d'Israël comme les islamistes de Téhéran et d'Afghanistan et leur idéologue, Tariq Ramadan ?
Le mal que sème un grand personnage, dit la sagesse grecque, pousse sur la tête des enfants. Il n'est donc pas étonnant que des étudiants négationnistes de l'université de Rome, encouragés ainsi par leurs aînés, aient composé et rendu publique une liste de leurs professeurs juifs ou "sionistes". La première liste des condamnés à la déportation ? La pratique des dénonciations si chère aux systèmes totalitaires - le nazisme et le stalinisme - que j'ai connue dans mon enfance n'est donc pas morte !
L'idée du boycottage a fait le tour de l'Italie. Cette "idée géniale" qui consiste à punir une littérature pour la politique d'un gouvernement a séduit nombre d'intellectuels italiens tels que l'écrivain Eduardo Sanguinetti, la scientifique Frederica Hack ou l'historien Franco Cardini et même le chantre des Brigades rouges, le Prix Nobel Dario Fo !
La mémoire constitue l'un des repères, l'un des éléments de l'identité individuelle et collective. Et si "l'histoire est toujours contemporaine", comme le disait Benedetto Croce, la mémoire l'est aussi. Sauf pour ceux, hommes de plume et de parole, qui ont sombré dans l'oubli.
Imaginons le boycott des livres d'un Gore Vidal, d'un Philip Roth ou d'un Norman Mailer à cause de la guerre du Vietnam. Imaginons le boycott d'un Sartre, d'un Camus, d'une Simone de Beauvoir à cause de la guerre d'Algérie... D'autant plus que, comme ce fut le cas des écrivains américains et français, les auteurs israéliens invités à la Foire du livre de Turin, tels Amos Oz, Avraham B. Yehoshua ou David Grossman, sont précisément ceux qui se battent pour les droits des Palestiniens. Les signataires de la pétition ne le savent pas, ou le savent, et font mine de l'ignorer.
Parmi les premiers, François-René de Chateaubriand avait compris que si le peuple juif était le seul de l'Antiquité à avoir survécu jusqu'à nos jours, c'était grâce à son enracinement dans le Livre. Un peuple peut disparaître si on l'arrache à sa terre. Un livre, en revanche, se transporte d'un exil à l'autre. La Bible a maintenu l'identité de ces juifs persécutés et dispersés à travers les continents et les siècles. Par conséquent, tous ceux qui voulaient la mort des juifs étaient-ils amenés à commencer par détruire leurs livres. Il en fut ainsi en 43 de notre ère à Alexandrie sous Caligula, premier antisémite moderne ou pendant le règne de Louis IX, dit Saint Louis, au XIIIe siècle, qui fit brûler des charrettes de Talmud place de Grève à Paris, ou encore deux siècles plus tard, à l'époque de l'Inquisition espagnole et jusqu'aux autodafés nazis. Interrogé au lendemain de la Nuit de cristal sur les conséquences de ces brasiers de livres juifs, Sigmund Freud répondit : "A la suite des livres, ce sont les juifs que l'on brûlera."
Il y a quelques jours, dans un entretien au Monde, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, affirma une fois encore sa volonté de faire disparaître l'Etat d'Israël. Faire disparaître sa littérature, serait-ce le premier pas ? Y aura-t-il toujours des intellectuels pour être complices d'une telle ignominie ?
 
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