Ca bouge au Comité Consultatif National d'Ethique

Publié le par lenuki

Depuis 25 ans, le Comité d’éthique fait avancer la réflexion sur la société

Créé en 1983, le CCNE a rendu 103 avis, notamment sur les différentes étapes de la vie
«L
a science va plus vite que l’homme. » C’est par cette formule que Fran­çois Mitterrand signait, en 1983, l’acte de naissance du Co­mité consultatif national d’éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé. Avec cette première mondiale, la France marquait sa volonté d’encadrer les avan­cées scientifiques et médicales, comme celles qui avaient abouti à la naissance des premiers bébés­éprouvette, Louise Brown (1978) en Angleterre, puis Amandine (1982) en France. Vingt-cinq ans après, le Comité d’éthique a inspiré, un peu partout dans le monde, la création d’instances semblables. Un succès qui s’explique par sa composition – moitié scientifiques, moitié per­sonnalités, dont celles appartenant aux grandes familles de pensée –, son indépendance et un mode de fonctionnement original basé sur le débat, l’échange, la libre discussion.
Mais si le CCNE n’était que cela, on n’en parlerait peut-être déjà plus. C’est aussi un lieu de « production ». À ce jour, il a émis 103 avis (le dernier, sur le dépistage de la surdité, date de décembre der­nier), posant peu à peu les bases des grands « dogmes éthiques » à la française : gratuité et anonymat du don, recueil du consentement avant toute recherche, indisponi­bilité du corps, respect de la dignité de la personne humaine. Le Comité d’éthique est ainsi à l’origine d’un concept qui sert de balise à toutes les réflexions sur le début de la vie : celui de «personne potentielle» .
« Dans les premiers temps du comité, il y avait des tensions avec les mem­
bres qui représentaient les courants religieux, raconte Georges David, le fondateur des Centres d’étude et de conservation du sperme (Cecos), membre du comité dès 1988. Pour les catholiques notamment, l’em­bryon était intouchable. La notion de personne potentielle a permis de sauver le dialogue. »
Dès son premier avis portant sur «les prélèvements de tissus d’embryons et de fœtus humains morts», en mai 1984, le Comité écrit : « L’embryon ou le fœtus doit être reconnu comme une personne humaine potentielle. » Un peu plus tard, en décembre 1986, dans son
avis n° 8, il persiste et signe : « Cette qualification constitue le fondement du respect qui est dû à l’embryon. »
Ici, se dessine ce qui sera, au moins pendant quelques années, l’une des lignes de conduite fortes du Comité: le refus de l’instru­mentalisation de l’être humain. Pour lui, les considérations sur le début de la vie humaine doivent en effet «prévaloir sur les avan­tages qui pourraient résulter, pour le progrès des connaissances ou l’amélioration des thérapeutiques, d’une réduction à l’état d’objet de la personne humaine, fût-elle poten­tielle » (avis n° 8).
Aujourd’hui encore, le succès de la notion de « personne potentielle »
ne s’est pas démenti. « C’était une très bonne idée, estime le généticien Axel Kahn. Elle indique en effet que l’embryon a une singularité, sans pour autant pouvoir être assimilé à une personne. » La subtilité du concept débouchera sur une dou­ble lecture, certains mettant l’ac­ cent sur la simple « potentialité » de l’embryon, d’autres insistant, à l’inverse, sur son caractère de «personne» en puissance. Mais du moins, le débat sur le début de la vie sera pacifié. Il n’en ira pas de même avec l’avis n° 63 de mars 2000 : « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie », qui va susciter une forte polémique et une ava­lanche de réactions.
Quelques jours avant la publi­cation de ce texte très attendu, le sénateur Henri Caillavet, membre du comité, ne peut s’empêcher de vendre la mèche et de crier vic­toire : le Comité, proclame-t-il, >>>>
Il n’est pratiquement pas de sujet sur lequel le comité ne se soit prononcé et n’ait suscité le débat.
 
ENTRETIEN >>>> Alain Grimfeld, pédiatre, spécialiste des problèmes d’asthme et d’allergologie à l’hôpital Trousseau, à Paris
« Le Comité d’éthique restera indépendant »

Le professeur Alain Grimfeld a été nommé hier par l’Élysée à la présidence du Comité d’éthique
Nicolas Sarkozy vient de vous nommer à la présidence du Comité national d’éthique à un moment un peu particulier de son histoire. En effet, l’Élysée ne cache pas sa volonté de réfor­mer en profondeur le Comité, en redéfinissant ses missions et en réduisant le nombre de ses mem­bres
(lire La Croix du 30 janvier) . Vous allez donc être l’homme de cette réforme. Quelles sont vos priorités ?
ALAIN GRIMFELD :
Avant d’engager la réforme que vous évoquez, il va falloir que nous menions au sein du Comité une large réflexion sur le sens de notre action. J’ai bien sûr des idées sur ce point mais vous comprendrez que j’en réserve la primeur à mes collègues. Il n’est pas question que chacun s’exprime de manière individuelle et sauvage avant cette réflexion collective. Il y a quand même un point sur lequel je souhaite insister. Il est certes légitime que l’Élysée ou le Parlement soient partie prenante dans ce débat sur les missions du Comité d’éthique. Mais nous avons la volonté très affirmée de rester une autorité administrative indépendante. Le Comité perdrait toutes raisons d’exister s’il renon­çait à son indépendance.
Quels sont aujourd’hui les dossiers qui vous semblent prioritaires en matière d’éthique ? Et notamment quel message souhaitez-vous porter lors de la révision des lois bioéthiques en 2009 ?

À l’occasion de ce débat, qui sera évidemment d’une grande impor­tance, le Comité jouera pleinement son rôle avec la volonté de ne pas entrer en concurrence avec l’Agence de biomédecine. Pour le reste, je ne veux pas, là non plus, m’exprimer sur le fond des dossiers avant d’avoir pu en parler avec mes collègues. Ce que je peux vous dire, c’est que l’éthique, pour moi, doit être l’exer­cice d’une morale active et surtout pas contemplative. La réflexion est importante, elle a même toute sa noblesse. Mais elle n’a d’utilité que si elle débouche sur des actions ou des propositions concrètes.
Vous êtes pédiatre. Pendant de nombreuses années, vous avez soigné des enfants au quotidien. Quelle a été la place de l’éthique dans votre pratique ?

Elle a été essentielle. C’est vrai­ment mon expérience de médecin qui m’a convaincu que l’éthique est l’exercice d’une morale active. Tout au long de ma vie de médecin, dans les relations avec les enfants, les pa­rents, j’ai toujours essayé de trouver un équilibre entre la compassion et la raison. C’est pour moi quelque chose d’essentiel qui devrait être enseigné plus largement au cours des études de médecine. Il ne faut pas que l’éthique soit quelque chose d’optionnel, qui passe après tout le reste. Je pense qu’il serait bon de renforcer l’enseignement sur ce point au cours du deuxième ou du troisième cycle des études médica­les. C’est d’ailleurs ce que réclament les étudiants et pas seulement ceux de médecine. Chaque année, lors des journées du Comité, l’amphi est rempli de jeunes que l’éthique passionne.
Vous êtes un spécialiste des problèmes de santé environ­nementale. Votre nomination marque-t-elle une volonté de voir davantage abordés les pro­blèmes éthiques dans le domaine de l’environnement ?

J’ai effectivement un grand intérêt pour les questions d’en­vironnement. Depuis 1996, je préside le Comité de la prévention et de la précaution au ministère de l’environnement. Il est clair que si le Comité est saisi de questions environnementales, il y répondra avec un grand intérêt.
RECUEILLI PAR

PIERRE BIENVAULT

« L’éthique doit être l’exercice d’une morale active et surtout pas contemplative. »
 
PORTRAIT
Un médecin qui se confronte à la parole des citoyens

Alain Grimfeld

Président du Comité consultatif national d’éthique
Désigné mardi à la tête du CCNE, le professeur Grimfeld s’était surtout fait connaître jusqu’alors pour ses dénon­ciations des effets de la pollution sur la santé des enfants.

Demain, Alain Grimfeld va fêter ses 67 ans. Un âge qui, assurément, ne sera pas celui d’une retraite douce et tran­quille. Le tout nouveau président du Comité consultatif national d’éthique est en effet un homme plutôt occupé. Outre la consultation hebdomadaire qu’il a conservée à l’hôpital Trousseau, à Paris, ce pédiatre assume également, entre autres, la présidence du Comité de la prévention et de la précaution du ministère de l’environnement et celle du conseil scientifique de l’Agence française de sécurité sani­taire des produits de santé (Afssaps).
Bref, c’est un homme du sérail, fin connaisseur des arcanes du monde médi­cal, politique et adminis­tratif, qui sera chargé de conduire la réforme du Co­mité d’éthique souhaitée par l’Élysée. S’il reste très pru­dent sur ses projets, Alain Grimfeld ne va pas arriver en terre inconnue, puis­qu’il a intégré le Comité en janvier 2005 comme simple membre. Un membre plutôt discret. Au cours des derniè­res années, ce spécialiste s’est en effet très peu exprimé publiquement sur les questions éthiques. Son cheval de ba­taille médiatique a surtout été celui de la dénonciation des effets de la pollution atmosphérique sur la santé des enfants.
« Lorsque j’ai commencé mon activité de pédiatre, je me suis très vite intéressé au problème des maladies respiratoires puis, tout naturellement, aux relations entre la santé et l’environnement »
, explique celui qui a créé en 1993, à Trousseau, le premier centre de l’asthme pour les enfants en France. « Il a été l’un des pre­miers à alerter les autorités sanitaires et les médias sur les dangers de la pollution et sur le développement de l’asthme chez les enfants, en insistant sur la nécessité de prendre en charge cette pathologie dans des structures spécifiques » , reconnaît Christine Rolland, directrice de l’as­sociation Asthme et Allergies.
En 1994, Alain Grimelfd a aussi fondé Asthme et Enfance, une association aujourd’hui disparue mais qui, à l’épo­que, regroupait des parents d’enfants asthmatiques.
« J’ai toujours considéré qu’il était fondamental que les parents puissent s’exprimer sur les pathologies touchant leur enfant, explique-t-il. Pour moi, être médecin, c’est surtout être capa­ble de ne pas s’enfermer dans une espèce de tour d’ivoire, protégé par un jargon médical inaccessible aux autres. Un mé­decin doit se confronter à la parole des malades qu’il soigne et, plus largement, à celle des citoyens. » C’est peut-être aussi pour quitter cette tour d’ivoire médicale qu’Alain Grimfeld a rejoint à deux reprises les coulisses du pouvoir. D’abord comme chargé de mission au ministère de l’environnement, de 1996 à 1997, auprès de Corinne Lepage, puis en tant que conseiller spécial de Jean­François Mattéi au minis­tère de la santé de 2002 à 2004. « Ces périodes ont été très instructives mais elles m’ont parfois laissé le senti­ment d’un certain décalage entre ce que peuvent être les préoccupations ministériel­les et celles qui animent nos concitoyens dans leur vie de tous les jours. » À cette époque, Alain Grimfeld avait souhaité conserver, en parallèle, ses fonctions de chef de service à Trous­seau. « Un médecin qui parle de méde­cine dans un cabinet ministériel, alors qu’il n’a pas vu un malade depuis plus de deux ans, ne peut pas être vraiment crédible » , affirme le nouveau président du Comité d’éthique, en assurant que cette nouvelle fonction ne l’éloignera pas de l’hôpital. « C’est au contact des enfants et de leurs parents que j’ai ap­pris l’éthique. Et renoncer à cette activité est aujourd’hui une chose qui me semble absolument impossible. »
PIERRE BIENVAULT

Homme du sérail, fin connaisseur des arcanes du monde médical, politique et administratif, il sera chargé de conduire la réforme du Comité d’éthique souhaitée par l’Élysée.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article