Politique et compassion
L'homme compassionnel
La compassion peut-elle faire une politique? Cette question est au centre du dernier
livre de la philosophe Myriam Revault d’Allonnes. L’auteure constate que le vécu de la souffrance est désormais au premier plan de la réalité sociale et politique. Le discours victimaire a
évincé le conflit, la lutte des classes, la revendication pour la justice et pour l’égalité. Fait nouveau, les candidats à l’élection présidentielle de 2007 ont même fait de leur aptitude à
compatir un argument décisif de leur capacité à gouverner. Comment ce sentiment compassionnel s’est-il installé au centre du champ politique? M. Revault d’Allonnes met en exergue un
«mouvement de fond», qui remonte à l’émergence de la sensibilité démocratique au xviiie siècle. Convoquant Alexis de Tocqueville, Hannah Arendt et Axel Honneth, elle montre que notre
sensibilité à la souffrance d’autrui s’est progressivement aiguisée, jusqu’à embrasser l’humanité tout entière. Cette tendance s’exacerbe avec le «triomphe de la similitude» propre aux
démocraties d’aujourd’hui.
Mais le risque de dérapage existe. Montrant un «zèle compatissant», nos gouvernants en viennent à insinuer: «Je souffre avec vous». Ce discours conduit à une confusion généralisée
entre l’émotion et l’analyse, le temps médiatique et le temps de la compréhension, la morale et la politique. «La politique compassionnelle est le contraire d’une politique, conclut M.
Revault d’Allonnes. La démocratie compassionnelle est une démocratie dévoyée, la morale compassionnelle est un substitut affaibli et détourné de ce que Max Weber appelait l’éthique de
conviction.»
Faut-il pour autant bannir le sentiment compassionnel de la sphère politique? Pour l’auteure, une telle pétition de principe serait aussi vaine qu’inutile. La sagesse consiste à remettre la
compassion «à sa juste place» dans la démocratie, et à inventer les instruments capables de nous préserver des effusions compassionnelles.