Philosophie éthique et environnement

Publié le par lenuki

La philosophie éthique :
au service de l'environnement?

 

Michel LeBlanc DesNeiges
Fondation Médias Verts
2 mars, 2002

L'éthique au service de la cause environnementale? Pourquoi pas, diront plusieurs. En fait, les environnementalistes parlent depuis toujours de notre obligation morale de protéger l'environnement. Mais les débats d'éthique font-ils vraiment avancer la cause environnementale et ont-ils un autre rôle à jouer que d'être évoqués pour gagner des arguments et impressionner les gens?

 

Pour les activistes, nous le savons, la lutte écologique est souvent un exercice de persuasion. La crise écologique est peut-être évidente et objective pour nous mais, pour un trop gros segment de la population, la question n'est pas particulièrement préoccupante. Les activistes utilisent donc toutes sortes de moyens pour raviver la cause, y compris la sensibilisation publique et le militantisme. Dans ces deux cas, on tente de convaincre les gens par deux moyens principaux,  la présentation de faits ou  l'appel aux émotions. D'une part, on explique les conséquences logiques de la trop grande consommation des ressources naturelles, faisant par exemple allusion au fait que si tout le monde vivait comme nous, les Occidentaux, on aurait besoin de quatre ou cinq autres planètes Terre. D'autre part, toutes sortes de groupes environnementalistes utilisent des images de la nature et de la merveilleuse diversité d'espèces animales et végétales pour toucher une corde sensible chez les individus. En fait, on a tendance à fondre devant les photos d'ours Panda, de lionceaux et de petits singes dans la jungle. C'est ainsi que la plupart des gens viennent à comprendre l'importance de sauver nos forêts mondiales, de stopper la pollution, et j'en passe.

 

Dans d'autres contextes, comme lors de conférences publiques, les environnementalistes ont l'opportunité de renforcer leurs arguments pour la protection de l'environnement en développant les thèmes de l'obligation morale et éthique. Par exemple, David Suzuki parle souvent de notre obligation envers les peuples du monde et les générations futures. Robert F. Kennedy, Jr. évoque l'obligation de protéger l'environnement pour ce que la nature apporte à l'homme sur le plan esthétique et culturel. Tandis que le philosophe Peter Singer aborde souvent l'environnement comme la totalité des êtres vivants de notre planète, montrant le besoin d'orienter nos sociétés afin qu'elles causent le moins de souffrances possible à chacun de ces êtres (animal et humain).

Tous ces arguments peuvent être considérés comme des éthiques environnementales. Ils peuvent être défendus logiquement et sont donc consistants en soi. Pourtant, ces trois philosophies mènent à des conclusions divergentes quant à nos obligations précises envers l'environnement. Car, si on traduit ces philosophies en actions qui doivent nécessairement en découler, on réalise qu'elles impliquent des comportements bien différents. Par exemple, la philosophie de Suzuki le porte à affirmer qu'on doit changer le fondement de nos instances politiques et économiques de manière radicale car le présent système est intenable et mène même au génocide. La logique de la philosophie de Kennedy, par contre, ne sacrifierait pas le libre échange ni la concurrence économique et politique internationale. Kennedy accepterait encore moins l'éthique de Singer stipulant qu'on ne devrait pas tuer d'autres animaux pour se nourrir et qu'on ne devrait pas expérimenter sur des animaux même si cela permet de prouver la nature toxique et mortelle de nombreux produits chimiques industriels.

Comme nous venons brièvement de le voir, entrer dans le monde du débat philosophique peut souvent créer plus de complexité qu'il n'en résout. Les opposants de la cause environnementale peuvent littéralement s'amuser à confondre le public, démontrant par exemple les incohérences des différentes philosophies et comment souvent elles se contredisent.

 

Donc, aussi importante qu'a été la philosophie dans la marche vers une plus grande compréhension du monde et de la place de l'homme dans ce monde, elle peut être utilisée à tort et à travers. La philosophie peut servir à justifier  de nombreuses et différentes prises de position et on ne doit certainement pas croire qu'elle est nécessairement au service de la cause écologique. Au fond, et autant qu'on a tendance à la placer sur un piédestal, la philosophie est un exercice et une discipline qui nous permet de découvrir des vérités et non pas LA vérité.

Enfin, il faudrait toujours se rappeler que c'est le point de départ de toute philosophie qui est important. Et ça, c'est nécessairement une expérience subjective puisque la valeur de quelque chose est d'abord et avant tout ressentie. Jean-Paul Sartre l'a bien dit lorsqu'il affirma que la racine de toute philosophie doit être ancrée dans l'authenticité ou encore dans la bonne foi. Aussi complexe que soit la philosophie de Sartre et sa définition de la bonne foi, je pense qu'on peut l'exprimer ainsi : la clé de la vérité est au fond de nous. C'est lorsque nous sommes sincères avec nous-mêmes que le bien et le mal deviennent discernables. J'ose croire qu'au fond, personne ne veut la souffrance des autres êtres et personne ne peut sincèrement vouloir la destruction des écosystèmes. Le défi ultime du mouvement écologique n'est donc pas de développer des éthiques philosophiques mais plutôt d'aider les gens à vivre honnêtement et en toute bonne foi.

 

Publié dans Sciences politiques

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