L'intention philosophique (texte brièvement explicité)
L’homme ne transcende le monde, ne s’y engage et ne s’en détache que par l’action de la pensée. C’est en pensant le monde qu’il le domine ; c’est en se pensant lui-même qu’il se possède et se conduit. « Par l’espace, dit Pascal, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends ». (Pensées).
Cela revient à dire que la sagesse est essentiellement, de quelque façon, connaissance et savoir.(…) Le sage est celui dont le jugement est éclairé par la raison. (…) La sagesse est Science et Conscience.
Ce n’est pas d’un faux savoir empirique qu’il s’agit ici, mais d’un savoir rationnel. Savoir que (oti) n’est pas encore sagesse, mais savoir pourquoi (dioti). Savoir sans comprendre n’est pas savoir ; ce n’est pas connaître et dominer mais subir. Le vrai savoir est celui qui comprend. La sagesse est la connaissance de ce qui fait comprendre (…) La sagesse est une connaissance de cause. Et la philosophie, intention de sagesse, une recherche de cause.
Il existe en nous un appétit de sagesse, un goût pour ce savoir qui consiste à comprendre. Ce goût-là est une caractéristique de l’homme. C’est pourquoi ce savoir a pour l’homme une saveur (…). De même qu’il y a en notre être animal un appétit de nourriture qui nous fait savourer l’aliment nourrissant, il y a en notre être spirituel un appétit de savoir qui nous fait savourer la sagesse, un besoin de comprendre qui nous fait goûter la connaissance de cause. Comme l’action de se nourrir s’accompagne de plaisir, l’action de comprendre s’accompagne de joie. Le sujet de cette connaissance et de cette joie se nomme l’esprit. Et l’acte en lequel consiste l’esprit se nomme la pensée. La philosophie est l’intention de la pensée vers la sagesse.
Joseph VIALATOUX, L’Intention Philosophique.
Thème : le projet philosophique
Thèse : « la philosophie est l’intention de la pensée vers la sagesse »
Etapes de l’argumentation
a) Rôle prépondérant de la pensée dans le rapport de l’homme au monde et à lui-même, à tel point qu’une réciprocité se crée entre l’homme et le monde : il n’y a de monde que pour une pensée humaine, de même qu’il n’y a de pensée en activité que parce qu’il y a un monde.
D’où la citation de Pascal, qui fait de l’homme à la fois « l’englobé » et « l’englobant » (cf. K. Jaspers).
b) D’où la définition de la sagesse comme « connaissance » ou « science » et « savoir » et « conscience ». Elle consiste donc à la fois en une activité et un état. Pour toute connaissance, il s’agit à la fois d’acquérir (apprendre, s’informer, assimiler) et de se transformer par ce qu’on apprend (l’état qui en résulte). C’est pourquoi la sagesse a à la fois un versant théorique et un versant pratique.
c) Mais de quel savoir s’agit-il, concernant la sagesse ?
Non pas : un faux savoir, empirique, un « savoir que », savoir sans comprendre, qui fait subir
Mais : un vrai savoir, rationnel, un « savoir pourquoi », savoir qui comprend, qui fait connaître et dominer (cf. citation de Pascal)
Donc la sagesse est connaissance de ce qui fait comprendre, c’est-à-dire connaissance de cause. Ce qui fait que la philosophie est à la fois intention de sagesse et recherche de cause
d) D’où la nécessité de la philosophie, puisque la sagesse est une exigence de l’esprit et, partant, de l’homme.
C’est tout le sens de l’analogie entre le besoin de se nourrir et le besoin de sagesse (comme nourriture spirituelle).
L’homme, comme animal, a un appétit de nourriture qui, une fois satisfait, lui donne du plaisir. Mais l’homme est aussi un animal raisonnable, doué d’un esprit. Comme tel il a un appétit de savoir qui, une fois comblé sous la forme de la sérénité, lui donne de la joie (différente du plaisir parce que se situant à un autre degré, bien supérieur).
A noter, d’ailleurs, l’étymologie correspondante entre savoir et saveur : l’activité de la pensée ne donne-t-elle pas du goût aux choses ?
e) En guise de conclusion, définition ultime du projet philosophique comme « intention de la pensée vers la sagesse ».
A rapprocher de l’étymologie du mot « philosophie » (cf. Pythagore).