La conscience définit-elle l'homme?
La conscience définit-elle l’homme ?
Problématisation de la question posée
On définit traditionnellement l'homme comme un être doté de conscience (cf. Descartes). Mais cette définition est-elle bien légitime ? Si on définit l'homme par la conscience, il faut alors se demander en quoi la conscience est une spécificité humaine, en quoi on ne peut pas l'accorder aux choses et aux animaux par exemple.. Afin de montrer en quoi la conscience est une spécificité humaine, on doit alors parvenir à définir précisément ce qu'il faut entendre par conscience. En effet, si la conscience consiste à sentir par exemple, on peut accorder la conscience à l'animal, tout au moins à certains. On peut ici partir alors tout simplement de cette définition : l’homme est un être de conscience et c’est cette conscience qui permet, par exemple, de le distinguer de tout objet, de toute chose. Mais il s’agit alors de préciser ce qu’il faut entendre par conscience ici. En effet, on pourrait rétorquer que certains animaux ont des degrés de conscience et donc n’en sont pas dénués. Dès lors, la conscience ne suffirait pas à définir l’homme. Ainsi, sans rentrer nécessairement ici dans un débat sur l’animal et la conscience, ce qui conduirait à sortir du sujet, vous pouvez simplement commencer par constater et montrer que l’homme n’est pas un être vivant comme les autres, il ne se contente pas de se nourrir, il est aussi un être qui peut réfléchir, penser. Deux références peuvent être utiles ici : Socrate lorsqu’il montre qu’il ne sait qu’une chose c’est qu’il ne sait rien et Descartes lorsqu’il énonce son « je pense donc je suis ». Si on entend par conscience cette capacité à se saisir soi-même alors l’homme semble être le seul être de conscience et se distingue alors des choses et des autres êtres vivants. Avons-nous pour autant réglé le problème du sujet ici ? En effet, si on définit ainsi l’homme comme un être de conscience, peut-on alors dire que la conscience suffit à définir l’homme ? Il ne faudrait peut-être pas oublier qu’un homme c’est aussi un corps, aussi un être de désirs, d’envies… et qu’il y a en l’homme une dimension qui dépasse sa conscience. On peut alors montrer qu’il n’y a pas que la conscience qui permet de définir l’homme si on entend par conscience le sens que nous lui avons accordé plus haut. Plusieurs pistes sont alors possibles : on peut, par exemple, montrer que l’homme est aussi un corps et que ce corps peut échapper à sa conscience ; mais on peut aussi montrer que la conscience ne représente pas la totalité de la vie psychique de l’individu humain. Ici, on peut alors aborder la question de l’inconscient en se demandant s’il ne permet pas tout autant de définir l’homme que la conscience. On remarquera que c’est alors en fonction du sens qu’on accorde au terme de conscience que l’on peut faire évoluer sa réflexion. Certes, la conscience entendue comme cette capacité qu’a l’homme de savoir ce qu’il fait et ce qu’il pense semble bien lui être une caractéristique propre (c’est ce que vous pouvez montrer), mais il y a peut-être aussi une dimension propre à l’homme qui dépasse cette conscience. Enfin, on peut aussi penser aux analyses de Sartre, dans L’existentialisme est un humanisme, lorsqu’il pose que l’homme n’est pas prédéfini (ce qui suppose une conception théologique), mais qu’il se définit lui-même au travers de ses actes. En ce sens, peut-on définir l’homme, c’est-à-dire le déterminer à l’avance à être ce qu’il est ? Ou encore lui assigner arbitrairement des limites ? Cf. aussi Rousseau et ce qu’il nomme la perfectibilité de l’homme…Bref, y a-t-il un sens à vouloir définir l’homme, que ce soit par sa conscience, son corps, son inconscient ou toute autre qualité jugée essentielle ?
Développement possible
1. Dans la tradition philosophique, depuis Descartes, la conscience est considérée comme constituant l'essence de l'homme. L'essence, c'est-à-dire: ce qui
lui est propre, qu'il est le seul à posséder, et qu'il possède de manière innée, de sorte que l'essence est inséparable de l'existence même de l'être considéré. Cf. le cogito et les conclusions
qu’en tire Descartes : la substantification de la conscience, la pensée comme essence de l’homme, le dualisme, etc. On peut aussi évoquer Pascal ici : la pensée est ce qui constitue la
dignité de l’homme, ce qui le distingue radicalement de tout ce qui existe. En ce sens donc la conscience ne définit-elle pas l’homme ? Enfin qui dit dignité dit moralité. La conscience,
comme conscience de soi, n’est-elle pas ce qui fait de l’homme un être moral, capable de se juger ? La morale de l'homme a quelque chose de spécifique, elle s'organise de façon réfléchie.
Ainsi, lorsque l'être humain agit pour la justice, il agit pour quelque chose dont il forme une idée et vers laquelle il peut se tourner avec une intention libre, ce qui est tout à fait
différent. Lorsque, par exemple, l'empereur Alexandre fait preuve de magnanimité (grandeur d'âme) quand il refuse d'être le seul à se désaltérer devant ses troupes assoiffées (ils sont alors en
campagne et en plein désert, des étrangers offrent un casque d'eau à Alexandre), il le fait en vertu d'une idée de la justice vers laquelle il tourne son intention, au lieu de se laisser aller à
la satisfaction pulsionnelle de son besoin. Kant remarque ainsi que ce qui définit la morale, c'est la pureté d'une volonté (une volonté bonne) tournée vers l'universalité d'une
raison.
On peut donc sans difficulté dire que l'homme est un sujet en un sens différent de l'animal, c'est un sujet moral, capable de former l'idée du Bien et de la respecter.
2. Mais il semble que la conscience ne soit pas inséparable de notre être: on peut perdre conscience. Or, on ne peut pas perdre son essence. Descartes
n'admettait pas l'idée d'un inconscient. Mais Leibniz, puis surtout Freud, ont mis en lumière de bonnes raisons de penser que tout ce qui se passe dans notre esprit n'atteint pas notre
conscience. De même que l'on marche sans avoir conscience du mouvement de chacun de nos muscles, l'usage de la parole met en jeu des mécanismes complexes que nous ne savons pas expliciter. La
conscience n'est pas essentielle à notre être, elle n'en est pas inséparable, puisqu'elle n'est pas innée. La conscience s'acquiert au cours des premières années de la vie. Elle n'est pas là dès
la naissance: l'enfant apprend assez tardivement à dire Je, à parler à la première personne, parce que cela présuppose déjà une conscience de sa propre identité. De même, il n'est pas
capable de reconnaître d'emblée sa propre image dans un miroir. Il ne comprend d'abord même pas qu'il ne s'agit que d'une image, il croit voir un autre enfant que lui. C'est seulement vers trois
ans selon J. Lacan (plus tôt selon des études plus récentes) que l'enfant comprend qu'il a affaire à une image, et à une image de lui-même.
Qu'est-ce qui constitue alors l'essence de l'homme, si ce n'est pas la conscience?
3. Ne serait-ce pas que l’homme, justement, n’a pas d’essence , qu'il est un être sans essence ? On peut difficilement définir l'homme par
une faculté sans lui attribuer en propre ce qui appartient aussi à d'autres, ou sans exclure une partie de l'humanité dans la définition de l'homme. En effet, si l'on définit la conscience comme
l'essence de l'homme, que fait-on alors du nouveau-né? Faut-il considérer qu'il n'est pas humain? Et le fou? Le seul moyen de définir convenablement l'humanité, c'est-à-dire sans exclure aucun
être qui puisse y prétendre, et sans y inclure les autres, c'est de considérer l'homme justement comme un être sans essence: ce qui définit l'humanité, c'est justement de ne pas pouvoir être
enfermée dans une définition unique, c'est sa mobilité et sa diversité. Il n'y a guère de facultés innées chez l'homme, sinon précisément le pouvoir d'acquérir, la faculté d'apprendre. J.J.
Rousseau nomme cette capacité la perfectibilité [Voir étude du Discours sur
l'inégalité]. Dès sa naissance, un animal est pratiquement tout ce qu'il sera toute sa vie. Ses facultés, notamment celles qui sont propres à son
espèce, comme de nager ou de voler, sont très vite développées. En revanche, un homme à la naissance n'est encore rien; parce qu'il a beaucoup à apprendre. La perfectibilité se traduit aussi par
le fait que l'homme "est sujet à devenir imbécile", dit Rousseau. Ce qui n'est pas inné, on peut le perdre. Ce que l'on apprend, on peut aussi l'oublier. C'est pourquoi même les formes de
régression telles que la sénilité ou la folie sont des marques de l'humanité de celui qui en est atteint. C'est justement parce qu'il est un homme qu'il peut perdre ce qu'il a acquis. Ce qu'il
avait acquis ne relevait pas de l'instinct, mais de l'apprentissage. Cf. aussi Sartre : « l’existence précède l’essence ». Néanmoins, la conscience morale, au moins formellement,
ne serait-elle pas susceptible, en ce sens, de permettre à l’homme de se définir ? Car pour pouvoir se définir, ne faut-il pas que l’on soit conscient de ce que l’on est et de ce que l’on
fait, même si cette conscience de soi peut être source d’illusions. Car enfin comment sortir de l‘illusion sans prendre conscience de celle-ci ?