Le besoin de reconnaissance (textes de Pascal et Rousseau)
Pascal
Le désir d’estime constitue, selon Pascal, un signe d’humanité : chacun veut être reconnu à sa juste valeur, c’est-à dire selon l’estime qu’il a de lui-même,
dans la mesure où il partage abstraitement l’humanité de l’autre avant de l’éprouver concrètement dans le regard et l’opinion de celui-ci (autrui)
400. Grandeur de l’homme. – Nous avons une si grande idée de l’âme de l’homme, que nous ne pouvons souffrir d’en être méprisés, et de n’être pas dans l’estime d’une
âme ; et toute la félicité des hommes consiste dans cette estime.
Rousseau
Avec la civilisation l’amour-propre remplace l’amour de soi : dans la société moderne tout devient factice et joué car l’homme vit davantage dans l’opinion des
autres qu’en lui-même.
« L’homme sauvage et l’homme civilisé diffèrent tellement par le fond du cœur et des inclinations que ce qui fait le bonheur suprême de l’un réduirait l’autre au
désespoir. Le premier ne respire que le repos et la liberté, il ne veut que vivre et rester oisif, et l’ataraxie même du Stoïcien n’approche pas de sa profonde indifférence pour tout autre objet.
Au contraire le citoyen toujours actif sue, s’agite, se tourmente sans cesse pour chercher des occupations toujours plus laborieuses : il travaille jusqu’à la mort, il y court même pour se mettre
en état de service, on renonce à la vie pour acquérir l’immortalité. Il fait sa cour aux grands qu’il hait et aux riches qu’il méprise, il n’épargne rien pour obtenir l’honneur de les servir, il
se vante orgueilleusement de sa bassesse et de leur protection, et fier de son esclavage, il parle avec dédain de ceux qui n’ont pas l’honneur de les partager. Quel spectacle pour un Caraïbe, que
les travaux pénibles et enviés d’un Ministère Européen ! Combien de morts cruelles ne préfèrerait pas cet indolent sauvage à l’horreur d’une pareille vue qui souvent n’est pas même adoucie par le
plaisir de bien faire ? Mais pour voir le but de tant de soins, il faudrait que ces mots, puissance et réputation, eussent un sens dans son esprit, qu’il apprît qu’il y a une sorte d’hommes qui
comptent pour quelque chose les regards du reste de l’univers, qui savent être heureux et contents d’eux-mêmes, sur le témoignage d’autrui plutôt que sur le leur propre. Telle est, en effet, la
véritable cause de toutes ces différences : le sauvage vit en lui-même ; l’homme sociable toujours hors de lui ne sait vivre que dans l’opinion des autres, et c’est, pour ainsi dire, de leur seul
jugement qu’il tire le sentiment de sa propre existence. »
Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, II