Le désir comme désir de reconnaissance (Hegel)
Désir : expérience qui permet l’accès à la conscience de soi, laquelle définit l’homme.
Premier moment :
Le moi contemple l’objet et s’aliène dans cette contemplation. Seul le désir va le rappeler à lui et le pousser à assimiler l’objet (cf. faim). Dans son expression première, le désir est donc « pure destructivité ». Le moi du désir, vide jusqu’alors, par l’assimilation de l’objet, devient une réalité pleine. Mais rempli d’une réalité naturelle il n’est, si on peut dire, qu’un moi-chose. C’est le stade du sentiment de soi propre à l’animal.
Second moment :
Pour passer au stade de la conscience de soi, le désir doit porter sur un objet non naturel, qui dépasse le donné immédiat. Or la seule chose qui effectue un tel
dépassement, c’est le désir lui-même, comme manifestation d’une absence. Le moi, pour sortir de l’animalité, porte sur un autre désir et se nourrit de désir. Il est alors « négativité-négatrice »
dont l’action se déploie dans le temps et dont le but est de devenir ce qu’il n’est pas. Le désir humain doit donc porter, non sur un, objet, mais sur un autre désir ; et la société, qui définit
l’homme, est un ensemble de désirs qui se désirent mutuellement.
Cf. rapport homme-femme : le désir n’est humain que si l’on désire, non pas seulement le corps, mais surtout le désir de l’autre. Il n’est donc humain que s’il veut
posséder ou assimiler le désir pris en tant que désir, c’est-à-dire s’il veut être désiré ou bien encore reconnu dans sa valeur humaine, dans sa réalité d’individu humain.
Le but du désir animal est la conservation de la vie. Le désir humain doit donc l’emporter sur le souci de la conservation. Autrement dit, l’homme s’avère homme
lorsqu’il risque sa vie. Se séparant ainsi de l’animalité, il accomplit son désir humain qui est désir de reconnaissance.
Troisième moment :
Dialectique du maître et de l’esclave. L’origine de la conscience de soi est donc une lutte à mort en vue de la reconnaissance, lutte de pur prestige. C’est le moment de la « lutte des consciences de soi opposées » :
« Le comportement des deux consciences de soi est donc déterminé de telle sorte qu’elles se prouvent elles-mêmes et l’une à l’autre au moyen de la lutte pour la vie
et la mort »
Hegel (1770-1831), Phénoménologie de
l'esprit, , Paris, Aubier, 1947, p. 158-161.
Pour que la reconnaissance ait lieu, les consciences de soi ne doivent pas aller jusqu’à la mort de soi ou de l’autre : sinon par qui être reconnu ? La dialectique
suppose donc une réaction de peur d’un des deux protagonistes qui préfère renoncer à la lutte, se soumettre plutôt que de perdre la vie. La reconnaissance est donc doublement aliénée :
+ le maître est certes reconnu par l’esclave (mais c’est une chose !)
+ l’esclave n’est pas reconnu et pourtant la vérité du maître est l’esclave !
Malgré les apparences, l’impasse est du côté du maître qui ne peut reconnaître l’esclave et qui n’a avec le monde qu’un rapport de jouissance, médiatisé par
l’esclave et son travail. En revanche, l’esclave peut se faire reconnaître par son maître.
L’instrument de libération de l’esclave, c’est le travail, c’est-à-dire le désir refoulé. Travaillant pour le maître, l’esclave doit réprimer ses désirs ; mais, au
cœur de l’aliénation, en transformant le monde, il se transforme et s’éduque lui-même. Refoulant ses instincts, il les sublime. L’esclave, moteur de la culture, « se transcende en travaillant ».
Le travail libérateur est d’abord un travail forcé. Mais le travail, car il est toujours esclavage, n’est pas, en soi, la liberté, mais il est le moyen pour l’esclave de reprendre la lutte
libératrice, autrement dit la lutte pour la reconnaissance.
La théorie du désir de Hegel est donc paradoxale :
- D’un côté, elle dégage le désir de l’homme dans sa pureté, comme désir de désir, et elle fait de la libération du désir le sens de
l’Histoire
- De l’autre, elle accentue la négativité du désir, qui se définit par une violence et une destructivité nées du manque à être. Seule une
contre-violence ou la puissance néantisante absolue de la mort peuvent la soumettre.
Le destin du désir est donc la servitude ou la mort. Le plus désespérant n’est-il pas que le destin historique du désir soit remis entre les mains de l’esclave et
qu’il doive se transcender par la servilité, le refoulement et la sublimation répressive ? Enfin les conditions concrètes du travail permettent-elles cette double formation du monde et de
soi, offrent-elles la possibilité d’un rapport substantiel à la chose (cf. critique de Marx) ?