Mythe d'Aristophane (explication première)

Publié le par lenuki

mythe d'aristophane

Interprétation succincte du mythe de l’androgyne


I
Il est à noter tout d’abord que pour Platon le désir s’enracine dans un manque d’une nature particulière, puisqu’à la fois il veut et ne veut pas ce qui pourra le satisfaire (désir paradoxal)

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« Ainsi cet homme, comme tout homme qui désire, désire ce qui n’est ni présent, ni disponible, ce qu’il n’a pas, ce qu’il n’est pas, ce qui lui manque ; et c’est bien là, nous l’avons vu, l’objet de tout amour et de tout désir » (Platon Le Banquet, 201 e  ed  Le Livre de Poche p.95).


« Et ces mêmes êtres qui passent toute leur vie ensemble seraient bien incapables de dire ce qu’ils attendent de leur union ; qui croirait en effet que le seul plaisir des sens pût les attacher pareillement à leur vie commune ? Leur âme, évidemment, cherche autre chose qu’elle ne peut dire, mais qu’elle pressent et sait laisser entendre » (ibid 192 c p. 82).


De plus, on ne peut manquer que de ce dont on a déjà fait l’expérience. Ainsi, par exemple, il est inutile de se demander comment on pouvait exister avant l’invention de telle ou telle technologie : elle ne pouvait manquer, puisqu’on ne la connaissait pas. C’est pourquoi, ici, le manque où s’enracine le désir est plus proche de la nostalgie (cf. étymologie) que de l’absolue privation. On ne peut donc ignorer totalement ce dont on manque, car le manque implique toujours quelque réminiscence, au moins confuse, d’une possession passée ou lointaine et qui aurait disparu. Le désir nous permet donc d’entrevoir une absence à la place d’une présence passée. Et comme cette possession s’inscrit dans un  lointain passé, elle est aujourd’hui oubliée, d’où le sentiment d’un « creux ne correspondant à rien tout en évoquant quelque chose ». Chacun, ici, ne reconnaît-il pas ce qu’il éprouve au travers de son désir ?


D’où l’idée, chez Aristophane, de recourir au mythe pour nous faire comprendre la vraie nature (selon lui) du désir. En effet, le mythe ne s’inscrit-il pas dans un passé immémorial, dont l’origine s’est perdue dans la nuit des temps tout en étant toujours vivante, au présent ? Donc, selon Aristophane, le désir est nostalgie de notre ancienne nature :


« Mais il vous faut d'abord apprendre la nature humaine et ses passions. En effet, notre nature originelle n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui, loin de là »  (cf. le texte joint à ce blog).

 

Autrefois, nous vivions en état de plénitude, car nous n’étions pas séparés de nous-mêmes. Nous étions des êtres parfaits (cf. êtres sphériques, le cercle comme figure parfaite chez les Grecs anciens, etc.), tout-puissants, pareils à des Dieux, car n’éprouvant aucun manque. Mais c’est justement ce qui nous a perdus, selon le mythe. En effet, imbus de cette toute-puissance, nous avons cru pouvoir escalader le ciel pour devenir réellement des Dieux. D’où la colère de Zeus et la punition qu’il nous inflige : être séparés en deux. Nous voilà donc condamnés à chercher, en une quête sans fin, la parie de nous-mêmes que nous aurions perdue.


« Une fois accomplie cette division de la nature primitive, voilà que chaque moitié, désirant l'autre, allait à elle; et les couples, tendant les bras, s'agrippant dans le désir de se réunir, mouraient de faim et aussi de paresse, car ils ne voulaient rien faire dans l'état de séparation. Lorsqu'une moitié périssait, la seconde, abandonnée, en recherchait une autre à qui s'agripper, soit qu'elle fût une moitié de femme complète - ce que nous appelons femme aujourd'hui -, soit la moitié d'un homme, et la race s'éteignait ainsi. Pris de pitié, Zeus imagine alors un moyen : il déplace leurs sexes et les met par devant - jusque-là ils les avaient par derrière, engendrant et se reproduisant non les uns grâce aux autres, mais dans la terre comme font les cigales. Il réalisa donc ce déplacement vers l'avant, qui leur permit de se reproduire centre ceux, par pénétration du mâle dans la femelle, et voici pourquoi : si, dans l'accouplement, un mâle rencontrait une femelle, cette union féconde propagerait la race des hommes; si un mâle rencontrait un mâle, ils en auraient bien vite assez, et pendant les pauses, ils s'orienteraient vers le travail et la recherche des moyens de subsister. De fait, c'est depuis lors, que l'amour mutuel est inné aux hommes, qu'il réassemble leur nature primitive, s'attache à restituer l'un à partir du deux, et à la guérir, cette nature humaine blessée. Chacun de nous est donc comme un signe de reconnaissance, la moitié d'une pièce, puisqu'on nous a découpés comme les soles en deux parts; et chacun va cherchant l'autre moitié de sa pièce… » (cf. texte du blog)


Or nous avons tout oublié de cette séparation primitive, et donc de notre antique nature. C’est pourquoi nous éprouvons un désir sans savoir quel est son objet propre, susceptible de le combler : l’expérience de notre plénitude première s’est complètement effacée de nos mémoires, ce qui ne nous empêche pas de pressentir, lorsque nous rencontrons l’être aimé, qu’il y a là les prémices d’une satisfaction possible. En ce sens, notre désir ne serait-il pas désir d’être aimé ?.

 

Aristophane

Publié dans philosophie générale

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