Société, justice et Etat

Publié le par lenuki

 
Dans le contrat social Rousseau, est écrit en préambule : « l'homme est né libre et partout il est dans les fers ». Par ces mots, Rousseau oppose deux formes classiques du droit. La première c'est le droit naturel qui selon Rousseau n'établit entre les hommes aucune distinction fondamentale et il oppose à ce droit naturel une organisation sociale que l'on appelle le droit positif qui lui est constitué par des règles, des normes qui semblent fortement injustes. N'oublions pas qu'à l'époque de Rousseau la plupart des pays d'Europe sont gouvernés de façon despotique par l'aristocratie. Faut-il renoncer alors à toute forme d'organisation sociale et politique ?
Les anarchistes le prétendent mais cette exigence suppose que les hommes soient capables de se gouverner par eux-mêmes. Comment justifier légitimement la souveraineté du pouvoir politique ?
 
1.    de la société à l'État
 
L’ordre social est complexe car on entend par société à la fois l'ensemble des hommes mais également une structure qui est un élément de ce grand ensemble. La société se définit donc comme un groupe d'individus qui s'organisent et qui créent ensemble une structure durable. Le groupe social exige donc à la fois le nombre et la modalité du temps. Ces groupes sont multiples, le grand ensemble social est régi par des règles, des normes, des coutumes que l'on appelle les institutions sociales, car elles relèvent de la libre volonté des hommes. En effet, la société n'est pas un privilège humain. Les animaux s'associent, la meute, le troupeau, l’essaim, sont de véritables sociétés mais au lieu d'obéir à des règles librement instituées, elles obéissent à l'ordre impérieux de la nature, à de véritables lois nécessaires de la nature. Ici une distinction capitale s'impose: les règles et les normes ne peuvent pas être naturelles, elles sont culturelles tandis que la nature impose ses lois. Les règles et les normes exercent une pression sur nous : La pression de l'ordre social. Et parfois inconsciemment le groupe social nous manipule, mais l'homme garde une certaine souplesse d'action par rapport à l'obéissance à ces règles sauf dans un cas, c'est le cas des lois constitutionnelles/politiques. Les lois que les hommes érigent ne sont pas éternelles, au contraire elles sont évolutives mais il ne faut pas croire que parce que la loi change il faut tout invalider. L'ensemble des groupes sociaux partage un intérêt, c'est le but de tout groupe social : participer à la cohésion du groupe. Chaque couple, chaque famille, tend à se maintenir, à s'organiser et à durer. Tous ces intérêts divergent et parfois s'opposent. Prenons l'exemple de la famille et de la nation. Lorsque la nation est en danger, elle demande aux membres de la famille le sacrifice de leur liberté et provoque la rupture de l'équilibre familial. Ces conflits impliquent une médiation, l'existence d'un pouvoir supérieur qui tranche en dernier recours, c'est alors que s'impose le pouvoir suprême qui s'appelle l'État. Ainsi les sociétés les plus complexes semblent pouvoir se passer de l'État car on suppose que les conflits pourraient dégénérer en guerre civile. On attend donc de l'État la gestion des conflits pour la préservation de la sécurité et de la paix civile. D'abord, l'État a le pouvoir souverain, c'est lui qui décide sans en référer à une autorité supérieure. Cette souveraineté donne un autre privilège qui est le monopole de la violence légitime . L'État peut nuire à un individu, le priver de sa liberté s'il considère que celui-ci porte atteinte à la liberté publique. Enfin, l'État a seul le droit de gouverner l'ensemble social. Il tranche les conflits et organise une vie publique, économique, sociale, culturelle...
C'est lui qui prévoit les grandes actions et les directions dans les domaines de la finance, de la culture. L'État apparaît donc comme une émanation directe de l'évolution d'une société. On remarque par exemple que dans les sociétés archaïques où il n'y a pas d'État, cela ne signifie pas qu'il n’y ait pas de pouvoir. Ce pouvoir est même très souvent arbitraire, le chef ou le roi de la tribu gouverne souvent de façon despotique et l'individu est également soumis à la pression du groupe. Il peut rarement s'isoler et contester le pouvoir du clan. Le pouvoir d'État semble donc s'imposer avec l'ampleur d'une société. Et ce pouvoir de l'État est discutable quant à sa forme. C'est là qu’intervient un point de vue plus global sur l'humanité elle-même. Si on considère que les hommes sont gouvernés par l'intérêt, les passions, on ne pourra pas les gouverner sans la force et certains ont même pensé que seule la force pouvait rendre légitime le droit. C'est la théorie du philosophe anglais Thomas Hobbes (XVIe siècle). Selon lui, les hommes naissent libres et égaux en droits. Évidemment, il y a un progrès par rapport à la pensée antique du droit. Par exemple, chez Platon et Aristote, les hommes naissent avec des inégalités naturelles dont il faut tenir compte. Cependant, Hobbes n'est pas du tout un défendeur de la démocratie, au contraire, car si les hommes sont égaux, ils désirent donc les mêmes choses et ce qu'ils désirent étant parfois rare ils vont engager une lutte les uns contre les autres. Les hommesN'ont alors plus que deux issues, soit disparaître, soit survivre. Mais pour survivre ils ne peuvent rester libres, il faut donc qu'ils renoncent à leur liberté naturelle, mais tous ensemble, c'est le pacte civil, le pacte de l'État. Ils étaient une multitude, un groupe informe, ils deviennent dès lors un peuple (décision politique de vivre ensemble). Mais comme ils savent qu'ils ne pourront jamais se gouverner eux-mêmes, ils vont choisir parmi eux un homme ou un groupe d'hommes qui va s'emparer du pouvoir et leur promettre la sécurité en échange de leur liberté naturelle. Cet état puissant, menaçant Hobbes va lui donner le nom de Léviathan. Le Léviathan est originellement en monstre biblique, un serpent de mer qui menaçait tous les territoires autour de lui. Ainsi défini, le droit de l'État ne détient sa légitimité que de la force de la puissance, de la menace qu'il exerce sur les citoyens, telle est la théorie du droit despotique de Hobbes. L'État fort, despotique, qui concentre tout le pouvoir entre les mains d'un seul ou de quelques hommes établit sa légitimité sur l'impuissance des hommes à se gouverner eux-mêmes. Ainsi la force deviendrait un droit. Or dans l'expression « droit du plus fort » il y a une contradiction interne. S'il s'agit d'admettre la puissance de la force, nul ne la conteste puisque la force conduit à la contrainte, à la soumission de celui qui est menacé. C'est par peur que l'on obéit à la force on ne voit pas en quoi la peur peut fonder le droit. De plus, la force est une énergie qui varie, donc elle a besoin de se parer de légitimité du droit, ce qui signifie bien qu'en elle-même elle ne fait pas le droit. En effet le droit n'est pas du même domaine que la force. La force est une puissance naturelle tandis que le droit entre au domaine de la culture et de la raison. Cette critique nous la trouvons dans l'oeuvre politique de Rousseau « le contrat social ». Selon Rousseau, la sécurité ne justifie pas l'abandon des droits élémentaires de la personne humaine, Rousseau s'écrie « on vit tranquille aussi dans les cachots est-ce assez pour s'y trouver bien ? ». On peut en effet douter de la qualité de vie d'un peuple réduit à cette soumission politique.
 
2.    Le pacte républicain
 
Dans le Contrat social, Rousseau apporte une critique sévère aux théories du droit naturel classique. Le droit peut être en effet défini comme la simple puissance naturelle de l'être humain, le pouvoir d'agir. Ce droit naturel définit notre liberté de nature qui est pleine et entière. Rousseau considère de la même façon que Hobbes que nous naissons tous libres et égaux. Mais beaucoup d'entre nous abusent de cette liberté naturelle sur tout dés que l'État social se développe. Dans l'état de nature (tribus,…) il n'y a pas de véritable interdit (propriété, loi,…) Si bien que les hommes vivent en harmonie. Dès lors, la propriété, les lois, le droit, vont devenir des conventions sociales. Mais au lieu de retrouver l'égalité naturelle que nous avions à l'origine, nous tombons dans des sociétés inégalitaires et le droit civil valide ces inégalités. Pour revenir à nos droits naturels, Rousseau ne dit jamais que nous devons régresser. Il s'agit plus précisément d’organiser un Etat qui nous permettrait de retrouver en partie des principes que nous avions par nature : la liberté et l'égalité. Pour cela, un pacte social s'impose, c'est le pacte républicain. Se sachant menacés par les tyrans, l'anarchie, les hommes doivent s'assembler et se donner des droits politiques, la souveraineté et le pouvoir de se gouverner eux-mêmes. Le peuple est donc souverain mais il ne s'agit pas de définir une démocratie. La démocratie est souvent citée comme le type du gouvernement idéal. Or un État démocratique n'a pourtant été jamais cité par les grands penseurs politiques comme un idéal au contraire. Déjà dans la République de Platon, il forme une critique sévère de la démocratie, du pouvoir donné au peuple. Selon Platon, le gouvernement démocratique donne la parole à tous et le pouvoir à tous, mais dans aucun métier on ne donne la responsabilité d'un ouvrage à quelqu'un qui ne s'y connaît pas. Or l'exercice du pouvoir politique est le plus difficile qui soit et c'est justement dans cet exercice là que l'on prétend donner le pouvoir à tout un chacun, à n'importe qui. Les risques de dérives sont nombreux. D'abord la mésentente est presque annoncée, chacun voulant tirer son épingle du jeu. Ainsi aucune autorité réelle ne se dégage et c'est l'anarchie qui s'impose. Platon estime d'ailleurs que la démocratie est la voie la plus sûre vers l'anarchie, et du même coup l'antichambre de la tyrannie. Montesquieu reprend cette critique en l'adaptant à son temps. Il conteste ce qu'il appelle la démocratie extrême qui consiste à ne plus être capable de désigner les hommes compétents pour diriger un Etat. La cité démocratique est souvent décrite comme la cité qui est aux mains de la foule et rien n'est plus déraisonnable qu'une foule. Rousseau se méfie également de la démocratie qui ne convient qu'à de très petites assemblées, mais en tout cas elle ne peut s'exercer que si les hommes ont converti leur volonté. Regardons de plus près les risques de la démocratie, ils naissent du fait que l'ensemble des individus tente d’associer leur volonté particulière. Or la somme de ces volontés particulières ne crée pas automatiquement un accord volontaire. De plus un groupe d'hommes peut tout à fait s'associer dans un but déraisonnable. Ainsi les volontés réunies ne garantissent pas la valeur d'une constitution ou d'un acte de gouvernement. Pour éviter ces deux pièges, Rousseau propose l'établissement d'un pacte social, le contrat social. Évidemment, l'égalité naturelle est avérée par l’homme, mais la liberté naturelle nous conduit très souvent à placer nos intérêts en avant et à abuser de nos pouvoirs naturels. Le contrat social doit remédier à cela, il faut donc que chacun de nous renonce de la même façon à la totalité de sa liberté naturelle pour ne conserver que le bénéfice commun de cet accord. Ainsi, chacun de nous renonce à rouler à une vitesse excessive en échange, nous aurons tous la garantie de pouvoir circuler en sécurité sur tout le territoire national. La liberté naturelle a fait place aux libertés civiles qui sont garanties par les lois. De même, sans lois tout nous appartient mais de manière extrêmement précaire. Par contre quand le pacte civil est institué, peu de choses nous appartiennent mais elles nous appartiennent de façon légale et légitime. Cette liberté civile repose donc sur un accord qui place au premier plan l'intérêt général. Ainsi si l'une des propriétés gêne dans le cadre de la construction d'un établissement d'intérêt public, l'État a le droit d'exproprier le propriétaire du lieu en question, c'est donc l'intérêt général qui constitue l'élément premier du contrat social et tout individu ne peut devenir citoyen qu'en acceptant cette priorité de l'intérêt général. Voilà donc l'objet de la conversion du citoyen, chaque volonté particulière doit voter, s'engager au nom de l'intérêt général. Ce bien commun ne doit pas être évalué à travers le seul critère, l'intérêt général d'une seule communauté car les peuples peuvent comme les individus être jugés pour des crimes contre d'autres peuples.
La volonté générale décide donc de bien commun sans négliger le respect élémentaire des droits de l'homme. Si par exemple pour leur bien commun, les individus décident de mettre en esclavage d'autres hommes sur leur propre territoire, cette volonté générale devient criminelle. Un État susceptible de respecter toutes ces règles de droit porte le nom de république et le chef d'un tel gouvernement peut même être un roi. Cette république peut donc proposer des lois devant lesquelles les citoyens ne se sentiront pas contraints ou aliénés car la loi ne sera que les émanations de la volonté générale donc au fond chacun y aura participé. Rousseau peut donc affirmer : « la loi que ce que l'on s'est prescrite est liberté ».
Ainsi le gouvernement républicain apparaît comme un gouvernement de liberté puisque la loi dépend du peuple qui est souverain. L'égalité de tous devant la loi est ainsi proclamée puisque tous y participent et tous y sont également soumis. La loi, qu'elle soit despotique ou républicaine, possède un caractère légal qui lui permet de pourchasser et de contraindre les hors-la-loi. Cette légalité ne garantit absolument pas son caractère légitime. Par légitime ont entend une loi qui ne porte pas atteinte aux droits élémentaires de la personne humaine, par exemple, des lois antijuives de Nuremberg ont un caractère strictement légal ; la distinction entre le légal et le légitime nous offre donc un double sens du mot « justice ». Le légal définit ce que l'on appelle la justice positive c'est-à-dire un ensemble d'institutions qui ont en charge le respect de la loi. Le hors-la-loi est considéré comme un citoyen injuste parce qu'il agit contre le bien public. Les tribunes, les avocats, les juges, tout cela nous donne l'image des différents rôles de la justice positive. Cependant, nous avons vu que devant le travail de ses institutions nous sommes parfois mécontents. C'est donc que nous avons par l'exercice de notre raison, accès à une autre idée de la justice, il s'agit là de la justice idéale.
 
3.    La justice : le légal et l’égal
 

Dans un premier temps, lorsque nous fouillons cette idée de justice, c'est la notion d'égalité qui surgit. On entend par égalité un partage qui ne ferait aucuns mécontents car les parts serait mathématiquement les mêmes. Dans les contrats de type économique, c'est la règle que l'on applique en général. Cette première forme de justice est appelée par Aristote la justice commutative. Mais cette idée n'est pas applicable dans tous les cas. On trouverait par exemple absurde au nom de l'égalité de servir exactement le même nombre de parts de nourriture à deux hommes dont l'appétit et la constitution sont radicalement différentes. Une autre forme de justice, nous paraît alors plus utile pour donner à chacun son dû. Il s'agit de la justice distributive qui utilise la proportion mathématique. Ainsi on trouvera injuste que le pire des concurrents soit fêté pour sa victoire. Il s'agit alors vraiment de reconnaître des différences, de répartir des honneurs, des biens en fonction du mérite et des qualités de chacun. On voit donc que c'est l'inégalité qui devient juste à condition que cette inégalité soit justifiée. Au final, on ne veut que la juste inégalité. Ainsi, la notion de justice introduit des nuances dans l'usage du terme égal. C'est un autre terme qui définit mieux que le terme de justice la souplesse dans l'application des règles de justice : il s'agit de l'équité. Le juge équitable qui va douter de l'application stricte du droit et qui va intégrer l'originalité de circonstances.

Publié dans politique et morale

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