Etre soi-même (textes à l'appui)
"Cela posé, pour trouver en quoi consiste l'identité personnelle, il faut voir ce qu'emporte le mot de personne. C'est, à ce que je crois, un Être pensant et intelligent, capable de raison et de réflexion, et qui se peut consulter soi-même comme le même, comme une même chose qui pense en différents temps et en différents lieux ; ce qu'il fait uniquement par le sentiment qu'il a de ses propres actions, lequel est inséparable de la pensée, et lui est, ce me semble, entièrement essentiel, étant impossible à quelque Être que ce soit d'apercevoir sans apercevoir qu'il aperçoit. Lorsque nous voyons, que nous entendons, que nous flairons, que nous goûtons, que nous sentons, que nous méditons, ou que nous voulons quelque chose, nous le connaissons à mesure que nous le faisons. Cette connaissance accompagne toujours nos sensations et nos perceptions présentes : et c'est par là que chacun est à lui-même ce qu'il appelle soi-même. [...] Car puisque la conscience accompagne toujours la pensée, et que c'est là ce qui fait que chacun est ce qu'il nomme soi-même, et par où il se distingue de toute autre chose pensante : c'est aussi en cela seul que consiste l'identité personnelle, ou ce qui fait qu'un Être raisonnable est toujours le même. Et aussi loin que cette conscience peut s'étendre sur les actions ou les pensées déjà passées, aussi loin s'étend l'identité de cette personne : le soi est présentement le même qu'il était alors : et cette action passée a été faite par le même soi que celui qui se la remet à présent dans l'esprit."
Locke, Essai philosophique concernant l'entendement humain (1690)
"Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l'homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. Par là, il est une
personne ; et grâce à l'unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c'est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la
dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise ; et ceci, même lorsqu'il ne peut pas dire Je, car il l'a dans sa pensée ; ainsi toutes les langues,
lorsqu'elles parlent à la première personne, doivent penser ce Je, même si elles ne l'expriment pas par un mot particulier. Car cette faculté (de penser) est l'entendement.
Il faut remarquer que l'enfant qui sait déjà parler assez correctement ne commence qu'assez tard (peut-être un an après) dire Je ; avant, il parle de soi à la
troisième personne (Charles veut manger, marcher, etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je ; à partir de ce jour, il ne revient jamais à
l'autre manière de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il se pense."
Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, 1798
" Les êtres raisonnables sont appelés personnes, parce que leur nature même en fait des fins en soi, c'est-à-dire quelque chose qui ne peut pas être simplement employé comme moyen, quelque chose qui, par conséquent, met une limite à la faculté de chacun d'agir à son gré (et est un objet de respect). Les êtres raisonnables ne sont donc pas des fins simplement subjectives, dont l'existence, effet de notre activité, n'a de valeur que pour nous ; ce sont des fins objectives, c'est-à-dire des choses dont l'existence est une fin en soi-même, et même une fin telle qu'on ne peut la remplacer par aucune autre à laquelle celle-ci servirait simplement de moyen. "
Kant Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785