Meilleurs voeux pour 2013
Les formules rituelles m’ennuient, car à force d’être répétées inlassablement, elles finissent par ne plus rien dire et on les exprime sans y penser vraiment. Or, à l’aube d’une nouvelle année, les meilleurs vœux abondent, qui se disent (à défaut de se vouloir ?) sincères. La sincérité est de l’ordre de la vérité, certes subjective, et en cela elle peut concerner la philosophie. Car celui qui formule un vœu s’engage à travers lui. Selon Austin (cf. Quand dire c’est faire, 1962), le vœu est comme une promesse, qui accomplit ce qu’elle énonce au moment même où elle l’énonce, c’est-à-dire une action. Produire certaines énonciations, c’est en effet exécuter une action selon JL Austin et ce qu’il nomme « performatif » (de l’anglais « to perform ») Est performatif un énoncé qui constitue simultanément l'acte auquel il se réfère (ex. Je vous autorise à partir -> autorisation). Verbe performatif: verbe dont l'utilisation constitue un acte en soi, se confondant avec l'acte d'énonciation, tel que juger, promettre, baptiser, bénir. (Les verbes performatifs s'opposent aux verbes constatifs.)
Cf. cet extrait de Quand dire c’est faire (titre assez explicite) de Austin : |
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«Nous prendrons donc comme premiers exemples quelques énonciations qui ne peuvent tomber sous aucune catégorie grammaticale reconnue jusqu'ici, hors celle de l'"affirmation"; des énonciations qui ne sont pas, non plus, des non-sens, et qui ne contiennent aucun de ces avertisseurs verbaux que les philosophes ont enfin réussi à détecter, ou croient avoir détectés : mots bizarres comme "bon" ou "tous" auxiliaires suspects comme "devoir" ou "pouvoir" constructions douteuses telles que la forme hypothétique. Toutes les énonciations que nous allons voir présenteront, comme par hasard, des verbes bien ordinaires, à la première personne du singulier de l'indicatif présent, voix active. Car on peut trouver des énonciations qui satisfont ces conditions et qui, pourtant, A) ne "décrivent", ne "rapportent", ne constatent absolument rien, ne sont pas "vraies ou fausses"; et sont telles que B) l'énonciation de la phrase est l'exécution d'une action (ou une partie de cette exécution) qu'on ne saurait, répétons-le, décrire tout bonnement comme étant l'acte de dire quelque chose. (...)» Exemples : (E.a) "Oui [je le veux] (c'est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime)" - ce "oui" étant prononcé au cours de la cérémonie du mariage. (E.b) "Je baptise ce bateau le Queen Elisabeth - comme on dit lorsqu'on brise une bouteille contre la coque. (E.c) "Je donne et lègue ma montre à mon frère" - comme on peut le; lire dans un testament. (E.d) "Je vous parie six pences qu'il pleuvra demain". Pour ces exemples, il semble clair qu'énoncer la phrase (dans les circonstances appropriées, évidemment), ce n'est ni décrire ce qu'il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c'est le faire. Aucune des énonciations citées n'est vraie ou fausse : j'affirme la chose comme allant de soi et ne la discute pas. On n'a pas plus besoin de démontrer cette assertion qu'il n'y a à prouver que "Damnation !" n'est ni vrai ni faux: il se peut que l'énonciation "serve à mettre au courant" - mais c'est là tout autre chose. Baptiser un bateau, c'est dire (dans les circonstances appropriées) les mots "Je baptise..." etc. Quand je dis, à la mairie ou à l'autel, etc. "Oui [je le veux]", je ne fais pas le reportage d'un mariage : je me marie.» Quel nom donner à une phrase ou à une énonciation de ce type ? Je propose de l'appeler une phrase performative ou une énonciation performative ou - par souci de brièveté - un "performatif". Ce nom dérive, bien sûr, du verbe [anglais] perform, verbe qu'on emploie d'ordinaire avec le substantif "action" : il indique que produire l'énonciation est exécuter une action (on ne considère pas, habituellement, cette production-là comme ne faisant que dire quelque chose. (...) PEUT-IL ARRIVER QUE DIRE UNE CHOSE CE SOIT LA FAIRE ? (...) Une telle doctrine semble d'abord étrange, sinon désinvolte; mais pourvue de garanties suffisantes, elle peut en venir à perdre toute étrangeté.» J.L AUSTIN, "Quand dire, c'est faire", 1ère conférence, Paris, Editions du Seuil, 1970.
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Ce texte de Austin montre bien ce dont il s’agit dans mon propos : un vœu n’est pas n’importe quel énoncé, il rend présent en l’accomplissant ce qu’il énonce. Et on peut parler de présent au double sens d’actuel et de don. D’une part, en engageant l’avenir, le vœu l’actualise et, d’autre part, il s’offre comme un don, un cadeau à ceux pour lesquels il est formulé. Encore faut-il qu’il soit sincère.
Et comment pourrait-il l’être s‘il est exprimé quasi automatiquement, comme « sans y penser » ?
Aussi, veuillez recevoir les miens, qui, passés au tamis de cette modeste réflexion, ne peuvent que se vouloir sincères, c’est-à-dire énoncés en vérité… !