Le devoir

Publié le par lenuki

Les devoirs et le devoir

 

Il n’y a devoir que là où je conserve mon libre arbitre

  • « Devoir » !  Ah je ne puis souffrir ce vilain mot, ce mot odieux ! Il est si pointu, si aigre, si froid. Devoir, devoir, devoir ! On dirait des coups d’épingle. » Cette réaction de rejet que suscite le mot devoir est exprimée par un personnage d’une pièce d’Ibsen, Solness le Constructeur (1893). Elle est, sans doute , partagée par tous ceux qui assimilent le devoir à l’idée de ce qu’il est nécessaire de faire, par opposition à ce qu’on est libre de faire ou non. Cependant, l’obligation qui caractérise le devoir est distincte de la nécessité.
  • L’obligation – terme d’origine juridique – désigne à la fois l’état dans lequel on se trouve par le fait d’être lié, et l’acte par lequel on consent à entrer dans ce lien. Dans la culture latine, obliger (obligare) se réfère au droit d’un créancier à exiger du débiteur le remboursement de sa dette, et être obligé (obligatus) désigne le devoir du débiteur à s’acquitter de cette dette conformément à l’engagement pris.
  • Dans un jugement comme « tout homme doit mourir », le verbe devoir exprime une loi naturelle à laquelle personne ne saurait se soustraire. En revanche, dans un jugement comme « je dois être bienveillant à l’égard d’autrui », le verbe devoir exprime une obligation à laquelle je peux refuser de me soumettre. En ce sens, le « je dois faire » implique que je peux ne pas le faire.

 

Le droit ne demande pas d’agir moralement
  • Chacun a des droits naturels et inaliénables, chacun a aussi des droits positifs reconnus par les lois de son pays. Mais chacun a aussi  des devoirs, et envers tous. Les justes garanties individuelles ne peuvent que résulter de l’accomplissement par chacun de ses devoirs.
  • Si tout droit s’accompagne de devoirs, il ne suffit pas pour autant de les accomplir pour être en accord avec sa conscience. D’abord, parce que, parmi les devoirs envers autrui, on ne trouve pas que des devoirs juridiques mais aussi des devoirs de vertu, comme ceux de bienfaisance, de reconnaissance. Ensuite, parce que si le droit est une contrainte, il n’est jamais une obligation.
  • Il n’est pas nécessaire, en effet, que les sujets du droit reconnaissent leurs devoirs librement. Ils peuvent les accomplir pour n’importe quel motif, notamment par peur du châtiment.

 

Les devoirs particuliers et les devoir inconditionnel
  • Il y a des obligations qui sont liées à l’exercice d’une fonction ou d’une activité. Tel ministre évoquera les devoirs de sa charge, tel artiste la responsabilité envers son art. Il y a aussi des devoirs d’amitié ou encore des obligations issues de notre participation à une organisation syndicale ou politique.
  • De tels devoirs sont relatifs à une condition qui est toujours particulière. Ils se distinguent du devoir qui est inconditionnel et s’impose à tout homme en tant qu’il est simplement un homme. Ainsi, c’est un devoir inconditionnel d’honorer ses dettes.

 

L’impératif catégorique

 

Le devoir prend sa source dans la raison
  • Pour Kant, le devoir a sa source dans la raison et prend la forme d’une loi. D’une part, cette loi s’impose au sujet comme un impératif catégorique. D’autre part, dans sa forme, elle se réduit à un pur jugement : « tu dois », indépendamment de ce sur quoi elle porte.
  • Ainsi, la raison nous prescrit d’obéir aux règles qui peuvent, sans contradiction, prendre la forme d’une loi universelle. Autrement dit, il n’y a qu’une seule formule du devoir :  « Agis uniquement d’après la maxime  qui fait que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle » [Kant, Fondement de la métaphysique des mœurs, 1785]. Par « maxime », il faut entendre le principe subjectif qui détermine intérieurement la volonté agissante.

 

Le devoir est l’obéissance à une loi universelle
  • Cette formule permet de reconnaître dans tous les cas et sans hésitation son devoir. Une promesse trompeuse est-elle conforme au devoir ? Non, car je ne peux accepter « avec satisfaction que ma maxime (de me tirer d’embarras par une fausse promesse) dût valoir comme une loi universelle […]. Je m’aperçois bientôt  ainsi que, si je peux bien vouloir le mensonge, je ne peux en aucune manière vouloir une loi universelle qui commanderait de mentir » [ibid]. La raison en est que si tout le monde mentait, on ne croirait plus aux promesses de personne.
  • Par conséquent, la maxime qui me pousse à faire une longue promesse, « du moment qu’elle serait érigée en loi universelle, se détruirait nécessairement elle-même » [ibid.].

 

A lire : Emmanuel Kant, Fondement de la métaphysique des mœurs, 1785 : première et deuxième sections.

Publié dans politique et morale

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