Amour conjugal selon Rousseau

Publié le par lenuki

jean-jacques rousseau meditating in the park at la rocheco

 L’amour conjugal est un amour débarrassé de ses illusions :

 

« Nous nous voyons tels que nous sommes ; le sentiment qui nous joint n’est pas l’aveugle transport des cœurs passionnés, mais l’immuable et constant attachement de deux personnes honnêtes et raisonnables qui, destinées à passer ensemble le reste de leurs jours, sont contentes de leur sort, et tâchent de le rendre doux l’un à l’autre » (La Nouvelle Héloïse  III, 20)

 

Le propre de la passion, c’est de ne pas voir l’autre tel qu’il est, mais tel qu’on le rêve, à partir d’un phénomène d’idéalisation que Stendhal nomme « cristallisation » : la projection sur l’autre de qualités surévaluées qui occultent tout défaut. Il s’agit alors, non pas d’aimer l’autre, mais de s’aimer à travers lui. Or le propre de l’amour conjugal, c’est la présence quasi quotidienne, qui ne permet pas bien longtemps de refuser de voir l’autre dans sa « vérité » : cet amour ne peut donc durer que s’il est lucide, gagnant en profondeur ce qu’il perd en intensité. C’est cette « douceur » qu’évoque Rousseau dans la citation précédente, et qui a pour nom tendresse. L’amour conjugal se résume au plaisir que l’on éprouve à vivre ensemble :

 

« Quand l’amour a duré longtemps, une douce habitude en remplit le vide, et l’attrait de la confiance succède aux transports de la passion » (Emile, V)

 

Aimer quelqu’un, c’est apprendre à la connaître tel qu’il est, avec ses qualités et ses défauts, et le chérir malgré tout, « parce que c’est lui ». Et c’est ainsi que les époux parviennent au bonheur, jour après jour, sans vouloir « décrocher la lune » pour ce faire. Comme le dit Comte-Sponville aimer quelqu’un,  c’est se réjouir de son existence :

 

« Aimer un être, c’est désirer qu’il soit […], c’est jouir de son existence, de sa présence, de ce qu’il offre de plaisirs ou de joies » (Petit Traité des grandes vertus,  L’amour)

 

De plus, l’amour-passion est fermé sur lui-même, les amants ne pensant qu’à s’aimer, alors que l’amour conjugal est un amour ouvert sur les autres, permettant les actions extérieures et la réalisation de devoirs familiaux et sociaux :

 

« On ne s’épouse point pour penser uniquement l’un à l’autre, mais pour remplir conjointement les devoirs de  la vie civile, gouverner prudemment la maison, élever les enfants. Les amants ne voient jamais qu’eux, et la seule chose qu’ils sachent faire est de s’aimer. Ce n’est pas assez pour les époux, qui ont tant de soins à remplir » (La Nouvelle Héloïse  III, 20)

 

Mais la tendresse, à elle seule, peut-elle contenter la soif de bonheur que chacun porte en lui ? L’amour conjugal permet-il, comme le prétend Rousseau, de surmonter les contradictions de l’amour-passion ? Peut-il suffire au bonheur, qui est un état de plénitude et de totale satisfaction, alors que tout amour humain (conjugal ou non) est tourmenté par le désir, et donc par un certain manque ?

 

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