La mort selon Epicure

Publié le par lenuki

 

mort de Socrate

"Accoutume-toi à penser que pour nous la mort n’est rien, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est l’éradication de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui conférant une durée infinie, mais en l’amputant du désir d’immortalité.

Il s’ensuit qu’il n’y a rien d’effrayant dans le fait de vivre, pour qui est authentiquement conscient qu’il n’existe rien d’effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre. Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non parce qu’il souffrira en mourant, mais parce qu’il souffre à l’idée qu’elle approche. Ce dont l’existence ne gêne point, c’est vraiment pour rien qu’on souffre de l’attendre ! Le plus effrayant des maux, la mort ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes plus ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n’est point, et que les autres ne sont plus. Beaucoup de gens pourtant fuient la mort, soit en tant que plus grands des malheurs, soit en tant que point final des choses de la vie."

                                                                          Epicure  Lettre à Ménécée

 

 

vanité


« Accoutume-toi » : cela ne veut pas dire penser à la mort sans relâche (cf. Montaigne : préméditation de la mort comme plus fort remède contre la crainte qu’elle nous inspire, car « philosopher, c’est apprendre à mourir »). En effet, ce à quoi Ménécée doit se livrer, ce n’est pas à  l’anticipation toujours recommencée de sa propre fin, mais à la pensée que la mort est néant de toute sensation, c’est-à-dire néant de douleur comme de plaisir).

Une telle conception rationnelle de la mort est la condition même du bonheur. Car le vain, désir d’immortalité (= illimité, insatiable, immodéré cf. classification des désirs dans la Lettre à Ménécée) ne peut laisser l’âme exempte de trouble. L’ataraxie suppose la claire conscience de  ce que la durée de notre existence est mesurée par des bornes intangibles. De plus, la conscience que la mort n’est rien pour nous ne fonde pas seulement la possibilité du bonheur, mais fonde aussi notre liberté. Cf. Montaigne : « Qui a appris à mourir a désappris à servir », Essais, Livre I, chap. 20).

La seconde partie du texte en vient donc à considérer le néant d’une opinion – la crainte de la mort – qui a le néant pour objet. Or, pour Epicure, il y a sophisme à prétendre à la fois que le mort ne ressent rien et que et que la crainte de la mort est malgré tout justifiée par l’image anticipée qu’on peut en avoir. Or, pour Epicure, on n’a jamais de notion que de ce qui existe : comment l’attente de ce qui n’est rien pourrait-elle donc nous alarmer ? Craindre la mort est donc, au sens strict, souffrir pour rien. Comme le plein des atomes s’oppose au vide infini, les éléments du bonheur épicurien s’opposent à l’inanité des opinions vaines, à la vacuité des opinions qui ont le néant pour objet. La mort est donc du côté du non-être et de l’impensable, au lieu que les agrégats atomiques doués de réflexion – les hommes – sont du côté de l’être, du plein et, partant, du pensable. Quant aux morts, ils ne sont plus là pour en avoir l’expérience : les atomes qui les composaient sont disséminés et les êtres éphémères que ceux-ci formaient n’existent plus en tant que tels.


Commentaire Selon Philippe Ariès (cf. L’homme devant la mort), aujourd’hui, on ne nommerait plus la mort, à cause de l’appréhension qu’on en a (cf. « longues maladies »). On dissimule donc la mort aux mourants comme aux survivants. Le point de vue existentiel,  (l’angoisse vécue de la mort) serait-il insensé ou  absurde ?

D’où la nécessité de distinguer trois sens du mot mort :

a)      Mort = l’état qui suit immédiatement le décès

b)      Mort = le moment du passage, le décès en lui-même

c)      Mort = la conscience anticipée de l’état qui suit le décès ou même la prise en considération de notre finitude.

On peut donc se demander si la mort dont on nous dit qu’elle n’est rien par rapport aux vivants n’est pas la mort au premier sens alors que la mort qui n’est rien par rapport aux défunts  serait  la mort au troisième sens (la représentation de la mort) ?

L’homme moderne concède que la vie éternelle lui serait mortellement ennuyeuse, alors qu’une vie mortelle lui semble pourtant trop courte. Alors qu’Epicure, comme tout Grec, associe la perfection à la limitation d’un être pleinement achevé. Il propose donc un bonheur qui soit à la fois terrestre et serein.

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