Mais la présence d'autrui ne suffit pas...

Publié le par lenuki

relation et conflit
Or, dans de nombreuses langues, il existe une nuance entre seul et solitaire (alone/lonely ; allein/einsam, etc.). Cela n’implique-t-il pas que l’on puisse faire l’expérience de la solitude autrement que par la seule absence d’autres hommes ? La présence physique de l’autre ne suffit donc pas à garantir une relation authentique. « Mieux vaut la solitude que la présence d’un être qui, en dépit des apparences, reste sourd. Entend-on jamais le cri de ceux qu’on croit aimer ? » (J-P Pinsonneault Les abîmes de l’aube). Ne dit-on pas aussi : « Mieux vaut être seul que mal accompagné » ? Aussi ce qui permet la rencontre de l’autre peut connaître des limites ou des défaillances, ou encore être source de malentendus… Le dialogue, par exemple, peut être interrompu par des désaccords, mais aussi par la timidité des locuteurs, leurs réserves ou leurs arrière-pensées, d’où un appauvrissement du dialogue qui ne permet pas d’instaurer une véritable rencontre. La présence d’autrui peut aussi être agressive ou hostile (ou encore ressentie subjectivement comme telle). Ainsi, le regard d’autrui, lorsqu’il me méprise ou me condamne, peut m’aliéner. Cf. les analyses de Sartre  à propos du regard d’autrui comme source de la honte en moi :

 

« Considérons par exemple la honte... Sa structure est intentionnelle, elle est appréhension honteuse de quelque chose et ce quelque chose est moi. J'ai honte de ce que je suis. La honte réalise donc une relation intime de moi avec moi : j'ai découvert par la honte un aspect de mon être. Et pourtant, bien que certaines formes complexes et dérivées de la honte puissent apparaitre sur le plan réflexif, la honte n'est pas originellement un phénomène de réflexion. En effet, quels que soient les résultats que l'on puisse obtenir dans la solitude par la pratique religieuse de la honte, la honte dans sa structure première est honte devant quelqu'un. Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à moi, je ne le juge ni ne le blâme, je le vis simplement, je le réalise sur le mode du pour-soi. Mais voici tout à coup que je lève la tête ; quelqu'un était là et m'a vu. Je réalise tout à coup toute la vulgarité de mon geste et j'ai honte... Autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même: j'ai honte de moi tel que j'apparais à autrui. Et par l'apparition même d'autrui, je suis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme un objet, car c'est comme objet que j'apparais à autrui... La honte est par nature reconnaissance. Je reconnais que je suis comme autrui me voit.

                                                                                                 Sartre, L'être et le néant 1943

regard d'autrui et honte.

 

Il n’y a pas, dans ce cas, de reconnaissance mutuelle et, comme le disait Sacha Guitry, « il y a des gens qui augmentent votre solitude en venant la troubler ». La présence des autres peut aussi devenir un enfer : ainsi en est-il de l’expérience de la désolation dans la torture que l’on subit, par exemple. Mais, paradoxalement, la sollicitude d’un ami peut me faire ressentir la solitude irréductible qui est la mienne comme sujet conscient devant conduire son existence. En dernier ressort, qui peut décider pour moi sinon moi-même ? Nul ne peut vivre ma situation à ma place et il me faut bien l’assumer ou la transcender…. Entre la présence d’autrui, qui peut être ressentie comme négative, et son absence qui peut devenir une souffrance, a-t-on vraiment le choix ? Mais ne faut-il pas apprendre à vivre seul pour être de bonne compagnie ? La solitude ne serait-elle pas le prix de la liberté ?


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