Le Banquet de Platon (brève présentation)

Publié le par lenuki69


Banquet, le
(Platon)
 Dialogue de Platon, composé vers 385 av. J.-C.
Le Banquet ou Symposium sur l’érotique, est une joute oratoire qui s’est tenue chez l’aristocrate Agathon, à l’occasion du prix qu’il a remporté à un concours de tragédie. Chaque convive, en amateur de belles pensées, se devait pour la circonstance de faire l’éloge de l’amour. Cet épisode est rapporté par Apollodore, disciple de Socrate, à l’un de ses amis, une quinzaine d’années après l’événement.
1. Aristophane et le mythe de l’androgyne
Si, pour Phèdre qui ouvre l’entretien, Éros, pour être à l’origine de toute excellence, est le plus ancien des dieux, pour l’amant sensualiste d’Agathon, Pausanias, on distinguera néanmoins deux sortes d’amour ; à savoir, l’amour qui se met sous la tutelle de l’Aphrodite céleste (et auquel correspond l’homosexualité aristocratique) et celui sous la tutelle de l’Aphrodite vulgaire auquel correspond l’hétérosexualité populaire. C’est au tour d’Aristophane de se prononcer, mais un malencontreux hoquet l’oblige à céder son tour à Éryximaque. En médecin héraclitéen, celui-ci comprend cette bipolarité comme étant celle de la chaleur et du froid, du sec et de l’humide, etc. Il postule alors l’harmonie des contraires que sous-tend Éros, en contribuant à l’équilibre universel.
S’étant remis de son indisposition et s’inspirant sans doute d’Empédocle, Aristophane évoque le mythe de cet être complet dont, hélas, nous ne sommes désormais que les moitiés. En effet, nous formions un être double, composé de huit membres, de deux visages, aux sexes alternativement identiques ou différents. Voilà pourquoi, depuis que nous avons été sanctionnés pour impiété, l’amour est toujours l’amour de quelqu’un, soit l’aspiration à recouvrer l’unité perdue de cet être, grâce à Éros.
Quant à Agathon, en bon élève de Gorgias, il profère nombre d’épithètes laudatives au sujet du dieu de l’amour, voyant en lui le précepteur des dieux qu’il aurait, en outre, affranchis de la Nécessité ; et si, selon Phèdre, Éros est le plus ancien des dieux, alors c’est également le plus jeune.
2. Socrate, l’amour et la dialectique
À Socrate d’intervenir ; mais les hommages dont on vient de gratifier Éros sont si persuasifs qu’il ne saurait, sans s’exposer au ridicule, « rivaliser d’éloquence » avec ses prédécesseurs. Si on l’y autorise néanmoins, il entend « parler suivant la vérité ». Or, cela suppose l’examen des qualités énumérées au sujet du dieu en question, selon les points de vue du vrai et du faux ; certes, l’amour n’est que désir, aspiration à quelque chose — la beauté en l’occurrence — plutôt que rien ; mais possède-t-on jamais ce qu’on désire ? Non, répond Agathon ; la beauté manque donc aussi à Éros, conclut Socrate, et partant, la bonté ne peut que lui faire également défaut !
Pour désamorcer l’effet iconoclaste de cette déduction sur son auditoire, Socrate invoque alors l’expertise d’une femme, Diotime de Mantinée, prophétesse sacrée, qui l’a autrefois initié à toutes les choses touchant l’amour. C’est aussi pour restituer sa pensée sous forme de dialogue maïeutique que Platon recourt à ce personnage absent au banquet. Selon Diotime, Éros est en réalité un être intermédiaire (metaxu) comme l’atteste son origine. Issu de Poros (Trésor) et de Pénia (Pauvreté), il tient de sa mère son indigence matérielle et, de son père, l’aspiration à la beauté et à la bonté. C’est pourquoi il n’est ni tout à fait laid, ni beau, ni ignorant, ni franchement savant. Oscillant sans cesse de la multiplicité à l’unité, son instabilité l’apparente donc plutôt à un démon (ou demi-dieu), car il tient le milieu entre les dieux et les hommes.
Dans son aspiration au suprasensible qui est la véritable cause de son existence, son désir est celui de la génération par et pour le beau. Or, le désir d’immortalité, dont la paternité n’est qu’une espèce dérivée ou extrinsèque, ne se réalise intrinsèquement à l’essence du bien que par la génération et l’insémination de beaux discours. Aux parents qui assurent leur descendance selon le corps, on opposera les couples qui assurent leur postérité selon l’âme ; et, là où les uns ne jouissent que de la simple apparence de l’éternité, les autres sont promis, par l’exercice de la dialectique, à l’immortalité en soi.
Entre les deux formes de survie, il y a donc la distance qui sépare les enfants naturels des œuvres légitimes. Par où l’on voit que chez Platon, contrairement à une certaine idée reçue de la vulgate platonicienne, la généralité du genre (les Idées) est moins générique que génétique ou généalogique.
Sur ce, un visiteur imprévu fait irruption. C’est le bel Alcibiade, enguirlandé, à la tête d’un cortège de noceurs dont une flûtiste excite l’ivresse : il vient couronner de bandelettes Agathon pour le prix qu’il a remporté, et le proclamer le plus sage et le plus beau. S’apercevant soudain de la présence de Socrate, il lui fait partager ce couronnement, en lui reprochant toutefois de s’être « placé près du plus beau garçon de la compagnie ». À son tour invité à rivaliser d’éloge au sujet d’Éros, il s’y refuse, en arguant de son handicap par rapport aux autres : Alcibiade est ivre. En revanche, il souhaite faire l’éloge de Socrate.
Il en dresse donc un portrait contrasté où l’on reconnaît, sous la figure pleine d’ironie d’un Silène ou de Marsyas, Éros en personne. À ceci près que le demi-dieu incarné par Socrate est ici loué pour ses vertus : abstinence sexuelle, malgré les avances de son laudateur, endurance physique pendant la campagne de Potidée et la retraite de Délion qu’ils ont vécu ensemble mais, surtout, une éloquence hors du commun. Elle paraît de prime abord grotesque, émaillée de psittacismes ; qu’il suffise pourtant « d’ouvrir ses discours » et « on trouvera qu’ils renferment un sens que n’ont point les autres, ensuite qu’ils sont les plus divins et les plus riches en images de l’excellence ». Sur ces entrefaites, Socrate se propose de faire l’éloge d’Agathon, quand survient un autre cortège bachique qui envahit le banquet et interrompt le dialogue.
Au petit matin, entouré du tragédien Agathon et d’Aristophane quelque peu ébahis, Socrate reste le seul à conserver toute sa lucidité. Il peut encore proclamer qu’il « appartient au même homme de savoir traiter la comédie et la tragédie ». En effet, à l’issue de cette compétition de rhétorique qui s’est transformée en émulation érotique dont Socrate est l’enjeu, Platon sous-entend, par sa mise en scène, que la philosophie est l’art de tous les arts. C’est que la véritable éloquence — la dialectique — relève d’une procréatique de la beauté absolue, conçue en terme de rhétorique érotique ou d’érotologie oratoire.
 

Publié dans textes oral

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