Lois de bioéthique

Publié le par lenuki

Lois de Bioéthique : une législation incomplète et sujette à caution
   
L
ois dites de bioéthique de 1994 : des interdictions draconiennes mais soumises à interprétation. 
   Les éléments juridiques concernant le devenir des embryons humains sont contenus dans la LOI n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale, à   la procréation et au diagnostic prénatal.
    Néanmoins, dans la LOI n° 94-653 relative au respect du corps humain, nous pouvons aussi trouver des éléments en relation avec le devenir des embryons humains. En effet, nous avons vu que, selon certaines conceptions, l'embryon humain est un être humain à part entière, auquel cas les mesures portant sur le respect dû à la personne humaine s'appliquent aussi à eux.
 
  Et si l'embryon était un être humain à part entière ?
    Nous avons, dans cette partie, recensé certaines propositions qui nous semblaient pertinentes vis-à-vis du problème des embryons, si l'on considère ceux-ci comme des personnes à part entière. Les titres des différentes rubriques correspondent à ceux des énoncés des lois.
 
   Du respect du corps humain.
       1) Rétablissement de l'article 16 du code civil: "La loi assure la primauté de la personne , interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de la vie." Mais à quel moment peut-on précisément dater le commencement de la vie?

        2) Insertion des articles 16-1 à 16-9 dans l'article 16 du code civil:
                    16-1: "... Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial."
                    16-3: "... Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir."
    Il est difficile d'imaginer dans ces conditions, et surtout d'après le dernier article, que les moindres recherches ou travaux puissent être effectués sur des embryons humains.
 
Don et utilisation des éléments et produits du corps humain.
        Des insertions ont été faites au Livre VI du code de la santé publique:
Art. L. 665-11: "Le prélèvement d'éléments du corps humain et la collecte de ses produits ne peuvent être pratiqués sans le consentement préalable du donneur."
    Là encore, la stricte application de cette loi interdit tout prélèvement de cellules chez l'embryon humain... En ce qui concerne le prélèvement d'organes, ne pouvant pas vraiment parler d'organes au stade de l'embryon, cet aspect n'a pas à être pris en compte ici.
 
    Du prélèvement de tissus et de cellules et de la collecte des produits du coprs humain en vue de dons.
        1) Art. L. 672-4: "Le prélèvement de tissus ou de cellules ou la collecte des produits du corps humain sur une personne vivante ne peut être effectuée que dans un but thérapeutique ou scientifique."
    Mais qu'appelle-t-on un but scientifique? N'est-il pas facile de contourner cette proposition?
        2) Art. L. 672-5: "Aucun prélèvement de tissus ou de cellules, aucune collecte de produits du corps humain nepeut avoir lieu sur une personne vivante mineure..."
Les lois concernant spécifiquement les embryons humains ne semblent pas plus claires...
 
   Assistance médicale à la procréation.
        1) Art. L. 152-7: "Un embryon humain ne peut être conçu ni utilisé à des fins commerciales ou industrielles."
        2) Art. L. 152-8: "La conception in vitro d'embryons humains à des fins d'étude, de recherche ou d'expérimentation est interdite.
"Toute expérimentation sur l'embryon est interdite.
"A titre exceptionnel, l'homme et la femme formant le couple peuvent accepter que soient menées des études sur leurs embryons.
"Ces études doivent avoir une finalité médicale et ne peuvent porter atteinte à l'embryon. [...]"
    Ces dernières propositions sont très importantes, car elles semblent statuer de manière définitive sur les actions permises sur les embryons. Mais à y regarder de plus près, certaines questions sont soulevées: peut-on toujours établir une barrière nette entre "expérimentation" et "étude"? comment envisager des études ne portant pas atteinte à l'embryon?
    Mais qu'en est-il des embryons morts? Il n'existe aucune législation interdisant des expérimentations portant sur eux. De même, aucun texte ne réglemente le devenir des foetus morts...
        3) Art. 9: "Les embryons existant à la date de promulgation de la présente loi et dont il a été vérifié qu'ils ne font plus l'objet d'une demande parentale, qu'ils ne font pas l'objet d'une opposition à un accueil par un couple tiers et qu'ils satisfont aux règles de sécurité sanitaire en vigueur au jour de leur transfert pourront être confiés à uncouple remplissant les conditions prévues à l'article L. 152-5."
                         "Si leur accueil est impossible et si la durée de leur conservation est au moins égale à cinq ans, il estmis fin à cette conservation."
    Plusieurs questions se posent alors : la recherche sur les embryons humains avait permis jusqu’ici des avancées importantes en recherche fondamentale et appliquée. Cette interdiction ne risque-t-elle pas de freiner, voire de stopper des recherches qui sembles importantes tant sur le plan purement scientifique que médical ? Les risques de dérapage sont bien réels mais peut-être pourrait-on les diminuer sans pour autant entraver autant les possibilités de recherche... 
    Il apparaît clairement, à la lecture de ces lois, qu'un point essentiel n'a pas été abordé: revenir au problème essentiel de la définition de l'embryon humain s'impose. Ce n'est en effet qu'après avoir établi de façon rigoureuse ce qu'on entendait par "embryon humain" que des lois claires et précises pourront espérer voir le jour...
    Or les avis sont si partagés à ce propos qu'il va être difficile de statuer... On peut ainsi citer la position de l'Eglise, ou celle du grand public.
        Les textes sont tirés du Journal Officiel du 29 juillet 1994.
 
Une réouverture du débat s'impose, mais malgré les avis rendus par les comités consultés, les nouvelles lois sont toujours attendues...
    Une révision des lois bioéthiques de 1994 était prévue pour 1999, mais début novembre, aucun projet n'a été voté... Une étude préalable avait été demandée au Comité Consultatif National d’Ethique (C.C.N.E.) ainsi qu’à l’Académie Nationale de Médecine (A.N.M.).

    Ces deux organismes y reconnaissent les problèmes posés par l’interdiction de la recherche sur les embryons et envisagent des évolutions dans la législation. Mais il leur apparaît primordial de définir au préalable plusieurs éléments. Notamment, il faudrait éclaircir la définition et le statut de l’embryon ainsi que l’état de mort et de non-viabilité de ce dernier et enfin poser le problème du statut éthique des collections de cellules.
 
Le CCNE propose d'assouplir les lois de 1994, mais n'apporte guère de lumière sur la problème de la définition de l'embryon.
      L'avis du CCNE est de haute importance, car il devrait refléter la position officielle du gouvernement français, et ainsi être suivi. Bien évidemment, il ne faut pas négliger le pouvoir de groupes de pression suffisamment puissants de l'industrie pharmaceutique, ou d'intérêts économiques pressants à court terme, ainsi que la possibilité pour des chercheurs contestant ces mesures d'aller travailler à l'étranger.   
        1) La définition de l'embryon en tant que potentiel de personne ou de personne potentielle n'est toujours pas tranchée par le CCNE.
        Il en résulte que, même si les propositions avancées par le CCNE sont très généreuses et semblent plus tournées une volonté de progresser dans la recherche médicale, elles reposent là encore sur une base fragile...
        2) En ce qui concerne les prélèvements sur les embryons ou foetus morts suite à une interruption de grossesse, le CCNE estime que les prélèvements de tissus embryonnaires normaux doivent rester exceptionnels, faire partie d'un protocole de recherche précis et approuvé par une instance officielle. Le consentement de la patiente doit être obtenu après une information orale et écrite, précisant la finalité de ces prélèvements. Par ailleurs, le consentement à ce sujet ne doit être demandé qu'après que la patiente ait pris une décision éventuelle d'interruption de grossesse.
        Sur ce point, on peut se demander quelle pourra être l'instance officielle chargée de ratifier ou non un protocole de recherche utilisant des prélèvements de tissus embryonnaires, et sur quels critères se basera une telle décision.
        3) Le point essentiel de la proposition du CCNE est qu'il est interdit de produire un embryon dans un autre but qu'un projet parental. Ainsi, le CCNE refuse la constitution de collections de tissus et d'organes embryonnaires pour ne pas que l'embryon soit considéré comme un "outil" de recherche banalisé.
        A ce niveau, le CCNE adopte la même position que les lois de 94 qui visaient à garantir le respect maximal à l'embryon humain.
        4) Le CCNE se contente de souligner l'absence de législation concernant les recherches sur foetus morts en foetopathologie, mais ne propose pas de solution à ce problème, déjà souligner lors de l'analyse des lois de 94.
        5) L'article L. 152-8 du code de la santé publique interdit l'établissement de lignées de cellules ES, mais cette proposition est susceptible d'être modifiée, notamment suite à l'avancée des recherches à l'étranger. Néanmoins, le CCNE estime que leur clonage et leur commercialisation devraient être interdits, de même que le recueil par lavage utérin d'embryons en vue d'établir des lignées cellulaires.
        6) Les seules possibilités d'utilisation des embryons dans la recherche que le CCNE autorise doivent concerner la recherche fondamentale ou thérapeutique, et NE PAS risquer de modifier le génome du receveur.
        7) Enfin, en ce qui concerne le devenir de l'embryon, le CCNE propose trois solutions:
- accueil par un couple stérile
- destruction par arrêt de conservation
- mise à la recherche
Le CCNE considère que les parents doivent pouvoir décider après un délai de réflexion de deux ans.
        Ces points ont été établis à partir des propositions de modification des lois de bioéthique disponibles à l'adresse http://www.ccne-ethique.org, et se basent essentiellement sur les Avis n°1 (1984), n°52 (1997) et n°53 (1997).
 
L'Académie Nationale de Médecine se pose en défenseur des progrès de la recherche, mais insiste aussi sur la nécessité d'une définition claire de la notion d'embryon.
        1) L'ANM insiste sur la nécessité de l'étude de l'embryon pour la connaissance des processus de fécondation, de cryoconservation et d'implantation. Ainsi, il serait souhaitable de "ne pas [freiner] voire d'empêcher les travaux scientifiques, facteurs de progrès toujours plus rapidesdans l'aide médicale à la procréation ainsi que dans la détection, la prévention et le traitement de certaines maladies graves [...]"
        2) Mais l'ANM va encore plus loin, prenant à ce niveau une direction autre que celle souhaitée par les lois de 94: "comme pour le sujet adulte, cette recherche ne doit plus être limitée au seul bénéfice direct, mais être possible dans une finalité de bénéfice indirect". 
        3) Cependant, dans la continuité des lois de 94, l'ANM souhaite "que la loi réaffirme l'interdiction absolue de création d'embryons dans une seule finalité expérimentale", les expériences évoquées ci-dessus ne devant être menées que sur des embryons "dont la destinéeest de ne pas être réimplantés", ce qui constituerait "un argument pour la définition du statut médicale de l'embryon". Cela signifierait-il aussi que plusieurs définitions, selon le contexte dans lequel on se place, de l'embryon seraient envisageables?
        Les informations sont tirées du rapport de l'Académie Nationale de Médecine sur l'"Assistance Médicale à la Procréation; Problèmes médicaux actuels", de 1996.
 
Un rapport parlementaire en février 1999 synthétise les apports des réflexions du CCNE et de l'ANM sur ce sujet.
       Le 18 février 1999, l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) établit un rapport sur les lois dites de bioéthique de 1994, basé sur l'audition d'une soixantaine d'experts, scientifiques, médecins et juristes, ainsi que sur des enquêtes menées auprès des différents services publics ou instances, sanitaires et éthiques.
        Ce rapport ne donne pas à proprement parler des solutions pouvant être reprises tel quel , mais les interrogations qu'il suscite et les failles qu'il révèle devraient orienter la réflexion et aider à la prise de décision lors de l'élaboration du prochain projet de loi.
        1) Le premier problème soulevé est celui des lenteurs et des retards de l'application de la loi. Ainsi, "depuis cinq ans, aucun embryon conservé par congélation et "abandonné" par ceux qui sont à l'origine de sa conception in vitro n'a pu être accueilli par un couple demandeur."
        2) L'Opecst est plutôt positif en ce qui concerne les dispositions relatives au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain. Une relecture concernant les prélèvements post-mortem est peut-être souhaitable, notamment à propos des risques éventuels de contamination.
        3) Par contre, le rapport critique violemment les "failles du dispositif législatif sur la conservation par congélation des embryons "orphelins" et les incertitudes quant à leur devenir".
        Par ailleurs, il évoque aussi les problèmes liés au clonage thérapeutique ou reproducteur, non mentionné dans les lois de 94 et qui pourrait, selon l'Opecst, conduire à "une instrumentalisation de l'embryon, utilisé comme banque de cellules".
        Encore une fois, l'accent est mis sur les "ambiguïtés juridiques" et sur la nécessité d'une définition claire de l'embryon humain.
        D'après Le Monde, 19 février 1999.
 
Peut-on conclure sur un débat qui ne fait que commencer ?
        Ces incessants renvois de balle entre les grandes instances montrent à quel point le débat est passionné, mais surtout loin d'être tranché. Et le retard dans l'élaboration des nouvelles lois révèle combien la responsabilité de telles décisions est difficile à prendre par les législateurs. Curieusement, ce sont les organismes et les personnes scientifiquement les moins informés qui semblent avoir les avis les plus tranchés et sans appel sur la question, comme l'Eglise catholique et le grand public.
 

Publié dans raison et réel

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