La lettre à Ménécée ( d'après les classiques Hatier)

Publié le par lenuki

Lettre à Ménécée, Epicure
Classiques Hatier de la philosophie

Présentation

Epicure (341-270 avant jésus-Christ), est né dans l'île de Samos, loin du centre athénien.

Parmi les quelques textes qui nous restent de lui, la Lettre à Ménécée traite de la conduite à adopter pour être heureux. Or là réside l'originalité de la pensée d'Epicure - ce pour quoi elle occupe une place singulière dans l'histoire de la philosophie : il n'y est question de rien d'éternel, seulement du plaisir, auquel le bonheur doit être nécessairement rapporté.

Pour cette raison le matérialisme d'Epicure fut longtemps calomnié et dénaturé, ce dont le langage courant porte encore l'empreinte : ne désigne-t-on pas comme "épicurien" celui que le seul souci de la jouissance porte à poursuivre des plaisirs raffinés et variés, indépendamment de toute autre valeur ou préoccupation ?

Pourtant cette conception commune et moderne de "l'épicurisme" est fondamentalement infidèle à Epicure, pour qui le plaisir, loin d'être un raffinement et un luxe, est la règle même de la nature : il réside à vrai dire dans l'absence de douleur, bien plutôt que dans une surenchère d'excitations physiques. Tout excès, parce qu'il contrarie la nature, implique à l'inverse une souffrance, comme l'atteste l'abus d'un vin ou d'une nourriture.

Loin d'inciter les hommes, par conséquent, aux plaisirs débridés, Epicure préconise la connaissance et maîtrise des plaisirs, ce que l'on désigne encore sous le nom de "tempérance".

On le voit : le philosophe a pour tâche de comprendre la nature en vue de s'y conformer. Ainsi la méditation du sage le fait-elle accéder au plaisir bien compris, lequel est le but et le centre même de la vie.

 

Lettre à Ménécée

La Lettre à Ménécée comporte 19 paragraphes. La pensée d'Epicure, ici de nature fragmentaire, y répond cependant à une exigence unique : comment libérer l'âme des angoisses qui la troublent afin d'y restaurer un plaisir qui lui est, comme à toute chose, conaturel ?

Les deux premiers paragraphes définissent la philosophie comme vie heureuse.

Les trois suivants (3, 4, 5) établissent que nous n'avons rien à redouter des dieux car ceux-ci, indifférents aux hommes, ne sont responsables ni du bien ni du mal. Ainsi la crainte des dieux, que nourrit la seule superstition, est-elle facile à conjurer par le raisonnement.

Une autre des craintes dont l'homme est la proie le porte à croire que la mort est redoutable (6 à 9). Or, selon le matérialisme d'Epicure, l'âme ne peut survivre au corps ; la mort implique la cessation de toute vie et, partant, de toute sensation (de toute souffrance ou plaisir). Pour cette raison, on ne saurait souffrir d'être mort : la proposition "je suis mort" est, en ce sens, contradictoire car "être" signifie nécessairement être en vie. Par conséquent c'est moins la mort qui est redoutable que la pensée de la mort - soit le cortège des représentations effroyables et illusoires que l'on s'en fait communément. Ainsi comprend-on que "le mal qui nous effraie le plus, la mort, n'est rien pour nous" : il n'y a donc pas lieu de s'en angoisser.

Une fois écartées les principales craintes de l'humanité, est examiné le cas des désirs qu'Epicure, au paragraphe 10, classe en "vains" ou "naturels". Parmi les désirs naturels, certains sont nécessaires au bien de l'âme en général comme à celui du corps. D'autres, non nécessaires, doivent être retenus ou refusés en vertu de la nature, variable, de chacun, et de la sage évaluation des circonstances où ils sont nés.

Or en cela précisément consiste le bien (11), c'est à dire le bonheur : dans le plaisir heureusement pensé - autrement dit dans le choix rationnel et l'appréciation exacte des désirs utiles en vue de déterminer, pour chacun, les plaisirs les meilleurs. C'est, à proprement parler, ce qu'Epicure nomme "la prudence", dont il fait la vertu suprême.

Parce qu'il expurge de son âme toute crainte et tout désir vain, le sage est donc seul capable de connaître "l'ataraxie", l'absence de tout trouble intérieur. De là résulte l'état de contentement serein dans lequel il maintient son âme - en quoi Epicure fait résider la capacité de se suffire à soi-même ou autarcie (12 à 14).

Voilà pourquoi il appartient au sage, face aux hasards et aux infortunes, de conserver, grâce à sa pensée, la mesure et la sérénité (de 15 à 19). Aussi Epicure récuse-t-il tout fatalisme et renvoie-t-il l'homme, une fois de plus, à sa propre liberté.

La lettre s'achève alors sur 4 règles, le "quadruple remède", à quoi on peut résumer la philosophie d'Epicure :

Les Dieux ne sont pas à craindre

La mort n'est pas à craindre

On peut atteindre le bonheur

On peut supprimer la douleur.

Maximes et Sentences constituent un recueil de réflexions dont les thèmes croisent ceux de la Lettre à Ménécée

 

Premier extrait (p. 8)

Quand on est jeune, il ne faut pas attendre pour philosopher et quand on est vieux, on ne doit pas se lasser de la philosophie, car personne n'est trop jeune ni trop vieux pour prendre soin de son âme. Dire qu'il est trop tôt ou trop tard pour faire de la philosophie, cela revient à dire que l'heure d'être heureux n'est pas venue encore ou qu'elle a déjà passé. Ainsi le jeune homme comme l'homme âgé doivent philosopher. L'homme âgé afin de rajeunir au souvenir des bonnes choses qu'il a vécues dans le passé1, le jeune homme afin d'être, malgré sa jeunesse, aussi serein et exempt de craintes devant l'avenir qu'un homme plus âgé.

 

INTERVIEW DE PIERRE PENISSON, auteur du commentaire Classiques Hatier de la philosophie.

1 ) Quelles sont les notions du programme en jeu dans cet extrait ?

La philosophie, le bonheur.

 

2) Justifiez le choix de cet extrait

La question de l'âge opportun pour philosopher est constante, dans l'antiquité comme aujourd'hui. On nous dit communément que le moment n'est jamais venu pour faire de la philosophie : il est toujours trop tôt pour réfléchir sur la mort ou l'art de vivre par exemple - ou trop tard, parce que le temps manque pour une telle méditation. Dans ce passage, Épicure s'inscrit en faux contre cette idée en affirmant que "personne n'est ni trop jeune ni trop vieux pour prendre soin de son âme" : la philosophie n'est pas en effet, selon lui, un exercice purement théorique et abstrait, elle a une finalité concrète : procurer le bonheur, lequel, comme on l'a vu, réside dans le plaisir.

 

3) Qu'est-ce que le bonheur d'après Épicure ?

Le bonheur, c'est le plaisir bien compris. Il comporte trois stades distincts : le premier correspond à la suppression, Épicure croit possible, de la douleur physique. A un second stade, il s'agit d'évacuer toutes les terreurs portant sur des objets extérieurs - en particulier celles qui sont issues de la religion : ainsi en va-t-il des malédictions, de l'enfer ou des phénomènes naturels inexpliqués. Le troisième stade est relatif aux terreurs qui sont en nous, telles que l'angoisse de la mort ou la crainte de l'avenir. Pour Épicure il suffit donc que toute forme de douleur et de terreur aient disparues pour que le plaisir soit à sa plénitude.

 

4) S'il n'y a pas d'âge pour philosopher, qu'est-ce qui, cependant, caractérise la jeunesse et la vieillesse selon Épicure ?

Pour les Grecs de l'antiquité, la jeunesse ne représente pas une valeur en soi. Elle désigne surtout le temps de la passion, donc celui de la souffrance. La vieillesse a cela de supérieur sur la jeunesse qu'on y est libéré des passions et qu'au plaisir de vivre s'ajoute celui de se remémorer le passé, le pur plaisir du souvenir.

 

Deuxième extrait (p. 10 à 11)

[10] Maintenant, il faut parvenir à penser que, parmi les désirs, certains sont naturels, d'autres sont vains. Parmi les désirs naturels, certains sont nécessaires, d'autres sont simplement naturels. Parmi les désirs nécessaires, les uns le sont pour le bonheur, d'autres pour le calme du corps, d'autres enfin simplement pour le fait de vivre. En effet, une vision claire de ces différents désirs permet à chaque fois de choisir ou de refuser quelque chose, en fonction de ce qu'il contribue ou non à la santé du corps et à la sérénité de l'âme, puisque ce sont ces deux éléments qui constituent la vie heureuse dans sa perfection. Car nous n'agissons qu'en vue d'un seul but : écarter de nous la douleur et l'angoisse. Lorsque nous y sommes parvenus, les orages de l'âme se dispersent, puisque l'être vivant ne s'achemine plus vers quelque chose qui lui manque, et ne peut rien rechercher de plus pour le bien de l'âme et du corps. En effet, nous ne sommes en quête du plaisir que lorsque nous souffrons de son absence. Mais quand nous n'en souffrons pas, nous ne ressentons pas le manque de plaisir.

 

INTERVIEW DE PIERRE PENISSON, auteur du commentaire Classiques Hatier de la philosophie.

1) Quelles sont les notions du programme en jeu dans ce second extrait ?

Le désir, la nature, le bonheur, la liberté.

 

2) Quelle sont la portée et la signification de la classification des désirs qu'opère ici l'auteur du texte ?

La nature procure joie et satisfaction et, inversement, ce qui n'est pas naturel entraîne l'insatisfaction et le déplaisir - ainsi en va-t-il de l'excès, comme on l'a vu.

Toutefois, au sein même des désirs naturels, il convient de distinguer ceux qui sont strictement nécessaires (comme la faim et la soif), car ils correspondent à des besoins vitaux, de ceux qui, comme la sexualité par exemple, sont bien évidemment naturels mais dont la satisfaction entraîne plus de variété et des plaisirs en somme plus subtils : ces désirs, pour naturels qu'ils soient, ne sont pas nécessaires mais il convient à chacun de choisir de les réaliser ou non en vertu de sa singularité ou nature propre ; il n'existe donc pas, en ce sens, de règle universelle prescrivant le bonheur : ici intervient la nécessité du jugement ou raisonnement juste dont dépend la liberté.

 

3) Que désignent les désirs nécessaires "pour le bonheur" ?

Les désirs nécessaires "pour le bonheur" trouvent satisfaction dans l'élimination de toute forme de terreur, comme on l'a vu, et dans l'exercice de la pensée, en un mot dans la sérénité du sage. Celui-ci en effet s'est affranchi de certaines contraintes imposées par le corps, telle que la vieillesse ou l'infirmité, ainsi que de l'infortune ou des circonstances extérieures douloureuses, telles que les guerres ou la misère. Sur ce point comme sur d'autres, l'épicurisme est proche du stoïcisme : celui ci désigne en effet la doctrine morale qui suppose l'homme capable de neutraliser toute forme de souffrance par le moyen de la raison.

 

4) Quelle est exactement la nature du lien qui, selon Épicure, unit l'âme au corps ?

Dans les distinctions établies par Épicure, il existe une progression : le bonheur du sage est bien quelque chose de plus grand que la soif satisfaite par une gorgée d'eau, néanmoins, qu'il s'agisse du corps ou de l'âme, ce qui importe c'est, comme on l'a vu, l'épanouissement de la nature dans le plaisir. L'âme est sereine "comme" le corps est apaisé, simplement le plaisir de l'âme réside dans l'exercice de la pensée, lequel n'est pas le moindre de nos plaisirs.

Ce qu'il convient de comprendre, c'est que l'épicurisme est fondamentalement un matérialisme : l'âme est de nature corporelle ; voilà pourquoi, loin de séparer l'âme et le corps ainsi que le fait par exemple le platonisme, Épicure établit constamment un parallèle entre eux.

Troisième extrait (p. 66 à 67)

Maximes et sentences

L'amitié

Parmi tout ce que la sagesse se procure en vue de la félicité d'une vie tout entière, ce qui de beaucoup l'emporte, c'est l'amitié.

Savoir que rien ne doit angoisser, ni éternellement ni même longtemps, c'est aussi savoir qu'en notre condition précaire l'amitié est la sécurité la plus accomplie.

L'homme généreux s'accomplit dans la sagesse et l'amitié qui sont d'une part un bien de la pensée et d'autre part un bien immortel.

Toute amitié doit être recherchée pour elle-même ; elle a cependant l'utilité pour origine.

Le lien amical n'est pas dans la communion endeuillée mais dans l'attention prévenante.

Avec nos amis nous recourons moins à l'amitié qu'à la certitude de ce recours.

Ceux qui sont précipités ou trop lents à tisser des liens amicaux sont peu doués d'amitié, car en faveur de l'amitié il faut même oser provoquer les faveurs.

Il n'est pas vraiment un ami, celui qui veut sans cesse jouir de l'amitié, ni celui qui ne le veut jamais. Le premier fait trafic de ses bienfaits, le second empêche qu'on espère en l'avenir.

 

INTERVIEW DE PIERRE PENISSON, auteur du commentaire Classiques Hatier de la philosophie.

1) Quelles sont les notions du programme en jeu dans ce troisième extrait ?

Autrui.

 

2) Justifiez le choix de cet extrait.

Ce passage est intéressant car il montre que, pour Épicure, l'amitié est le lien, le seul en vérité, qui réunisse les hommes - ce que ne sont capables de faire, par conséquent, ni les lois politiques ni l'amour des autres. Il n'y a donc pas au fond, selon lui, de citoyens, mais des amis seulement. Dans cette conception, la justice en particulier a pour vocation, non de satisfaire un sentiment naturel du juste et de l'injuste, susceptible de renforcer le lien des hommes entre eux, mais simplement d'entretenir la crainte du châtiment.

En l'absence de toute perspective métaphysique d'éternité comme de tout lien stable institué par le politique, il reste l'amitié, précaire et précieuse. On peut même dire qu'elle est d'autant plus précieuse qu'elle est, par définition, précaire.

 

3) Pourquoi est-il dit dans ce passage que l'amitié trouve son origine dans "l'utilité" ?

Pour importante qu'elle soit, l'amitié n'est pas idéalisée par Épicure. Elle est d'abord de l'ordre du besoin : nous nous servons de nos amis, ils sont à leur tour les instruments de notre bonheur. Ainsi désacralisée, l'amitié ne s'accomplit vraiment que si l'on y respecte, là encore, la juste mesure - le calcul des limites au-delà ou en deçà desquelles la fragile amitié s'évanouit : ni trop prompt à lier une amitié ni trop lent à l'établir, on veillera, pour la maintenir, à n'être ni trop pressent ni trop distant. En un mot, dans l'amitié aucune règle n'est donnée par avance, tout y dépend de la "prudence", c'est à dire de l'art subtil qu'il convient de pratiquer pour composer un plaisir commun. En cela réside une part essentielle de la vie bienheureuse.

 

 

 

 

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