Culture et humanisation

Publié le par lenuki

culture et humanité

 

La culture se définit généralement comme ce qui s’ajoute à la nature ou comme transformation de cette dernière. En ce sens, on définit traditionnellement l’homme comme un être de culture en le distinguant de l’animal qui n’est et reste toute son existence que ce que la nature a fait de lui. L’homme est ainsi un être qui transforme son environnement ce qui, en retour, le transforme également. Cf. Hegel sur la double manière d’acquérir la conscience de soi (théorique, mais aussi pratique : par l’art, la technique, le travail ou le jeu) :

 

Cette conscience de soi, l'homme l'acquiert de deux manières primo, théoriquement, parce qu'il doit se pencher sur lui-même pour prendre conscience de tous les mouvements, replis et penchant du cœur humain et d'une façon générale se contempler, se représenter ce que la pensée peut lui assigner comme essence, enfin se reconnaître exclusivement aussi bien dans ce qu'il tire de son propre fonds que dans les données qu'il reçoit de l'extérieur.

Deuxièmement, l'homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu'il est poussé à se trouver lui-même, à se reconnaître lui-même dans ce qui lui est donné immédiatement? Dans ce qui s'offre à lui extérieurement. Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu'il marque du sceau de son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations. L'homme agit ainsi, de par sa liberté de sujet, pour ôter au monde extérieur son caractère farouchement étranger et pour ne jouir des choses que parce qu'il y retrouve une forme extérieure de sa propre réalité. Ce besoin de modifier les choses extérieures est déjà inscrit dans les premiers penchants de l'enfant ; le petit garçon qui jette des pierres dans le torrent et admire les ronds qui se forment dans l'eau, admire en fait une oeuvre où il bénéficie du spectacle de sa propre réalité. »

                                                                                        Hegel, Esthétique, La conscience

 

ou encore Rousseau distinguant l’homme de l’animal grâce au concept de perfectibilité :

 

"Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de l'homme et de l'animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c'est la faculté de se perfectionner; faculté qui, à l'aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l'espèce que dans l'individu, au lieu qu'un animal est, au bout de quelques mois, ce qu'il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu'elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l'homme seul est-il sujet à devenir imbécile? N'est-ce point qu'il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la bête, qui n'a rien acquis et qui n'a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l'homme, reperdant par la vieillesse ou d'autres accidents, tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même? Il serait triste pour nous d'être forcés de convenir que cette faculté distinctive, et presque illimitée, est la source de tous les malheurs de l'homme; que c'est elle qui le tire, à force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents; que c'est elle, qui faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même, et de la Nature. [...]
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ïnégalité parmi les hommes (1754), I" partie

Rousseau

 

 En ce sens, si on définit l’homme comme un être de culture, cela semble signifier que la culture est ce qui fait sortir du monde animal, par conséquent, ce qui l’humanise. L’accès à l’humanité supposerait le passage de la nature à la culture. En dehors de toute culture, l’homme ne serait qu’un animal ou un barbare. Cf. Aristote dans la Politique lorsqu’il définit l’homme comme un animal politique. Il montre ainsi qu’il ne se développe qu’au sein de la cité et qu’en dehors de celle-ci il n’est qu’une bête ou un Dieu :

 

Il est manifeste (...) que la cité fait partie des choses naturelles, et que l'homme est par nature un animal politique, et que celui qui est hors cité, naturellement bien sûr et non par le hasard des circonstances, est soit un être dégradé soit un être surhumain, et il est comme celui qui est injurié en ces termes par Homère : « sans lignage, sans foi, sans foyer » (...) Il est évident que l'homme est un animal politique plus que n'importe quelle abeille et que n'importe quel animal grégaire. Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; et seul parmi les animaux l'homme a un langage.

Les Politiques, I, 2, 1252 a, trad. P. Pellegrin, Paris, Garnier-Flammarion, 1990, p. 90.


 D’ailleurs les grecs considéraient comme des barbares ceux qui ne vivaient pas dans la cité athénienne parce qu’ils semblaient étrangers à toute culture. Barbares : selon l’usage courant on désigne généralement ainsi ceux qui semblent avoir des comportements cruels, non civilisés. Cf. Lévi-Strauss dans race et histoire : il montre en quoi les Espagnols débarquant en Amérique considéraient les Indiens comme des barbares. En effet, contrairement à ce que nous avons commencé par affirmer, le barbare n’est peut-être pas celui qu’on désigne comme tel. Lévi-Strauss dit ainsi que le barbare est celui qui croit en la barbarie :

levi-strauss

 

 L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n'est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères.

Il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l'inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d'admettre le fait même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit.

Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu'on choisit de considérer comme tels) hors de l'humanité, est justement l'attitude la plus marquante et la plus distinctive de ces sauvages mêmes. On sait, en effet, que la notion d'humanité, englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes de l'espèce humaine, est d'apparition fort tardive et d'expansion limitée.

Là même où elle semble avoir atteint son plus haut développement, il est nullement certain -l'histoire récente le prouve- qu'elle soit soit établie à l'abri des équivoques ou des régressions. Mais, pour de vastes fractions de l'espèce humaine et pendant des dizaines de millénaires, cette notion paraît être totalement absente.

On va souvent jusqu'à priver l'étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition ». Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les Grandes Antilles, quelques années après la découverte de l'Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d'enquête pour rechercher si les indigènes possédaient ou non une âme, ces derniers s'employaient à immerger des blancs prisonniers afin de vérifier par une surveillance prolongée si leur cadavre était, ou non, sujet à la putréfaction.

En refusant l'humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » des ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie.

                                                                                 Claude Lévi-Strauss , "Race et histoire" 1952

 

 En d’autres termes,  les exemples sont nombreux de cultures ou de civilisations qui se comportent de manière inhumaine. Mieux encore, on peut se demander s’il n’y a pas avant tout d’inhumanité là où la culture a pu se développer, si on entend par culture le fait de développer ses facultés. Cf. Rousseau soulignant ainsi au début de l'Emile :

 

« Tout est bien, sortant des mains de l'auteur des choses : tout dégénère entre les mains de l'homme. Il force une terre à nourrir les productions d'une autre; un arbre à porter les fruits d'un autre. Il mêle et confond les climats, les éléments, les saisons. Il mutile son chien, son cheval, son esclave. Il bouleverse tout, il défigure tout : il aime la difformité, les monstres. Il ne veut rien tel que l'a fait la nature, pas même l'homme; il le faut dresser pour lui comme un cheval de manège ; il le faut contourner à sa mode comme un arbre de son jardin. Sans cela tout irait plus mal encore, et notre espèce ne veut pas être façonnée à demi. Dans l'état où sont désormais les choses, un homme abandonné dès sa naissance à lui-même parmi les autres serait le plus défiguré de tous. Les préjugés, l'autorité, la nécessité, l'exemple, toutes les institutions sociales, dans lesquelles nous nous trouvons submergés, étoufferaient en lui la nature, et ne mettraient rien à la place. Elle y serait comme un arbrisseau que le hasard fait [mitre au milieu d'un chemin, et que les passants foui bientôt périr, en le heurtant de toutes parts et en le pliant dam tous les sens.

                                                                                                                                                   ROUSSEAU   Emile

première guerre

 

Comme on l’a vu dans un texte précédent Rousseau  montre aussi que seul l’homme est capable de devenir imbécile. On peut alors se demander si la culture ne peut pas conduire à une déshumanisation. Dès lors, d’un côté  certains aspects nous amènent à montrer que la culture humanise et d’un autre qu’elle peut être source d’inhumanité. En ce cas, peut-on affirmer que le terme d’humain a le même sens ? N’est-ce pas paradoxalement parce qu’il est un homme que l’homme peut devenir inhumain ? Dans ces conditions, y a-t-il contradiction ? Faut-il alors en conclure que la culture fait de l’homme un être inhumain ?

culture et barbarie

Publié dans la culture

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article