Travail et culture

Publié le par lenuki

                     

travail loisir 

 

Travail et loisir

 

Par rapport au travail qui, selon Hannah Arendt, exprimerait la condition matérielle de l’homme, soumis à la nécessité, s’épuisant dans une activité sans cesse à recommencer, la culture semble bien être du côté du loisir au sens grec de skolé, c’est-à-dire le temps dont on dispose pour soi-même, et donc le temps de l’étude et de la méditation ( prendre soin de son âme ). Se cultiver, c’est donc prendre soin de soi, mais aussi se former, permettre que se développent en soi les potentialités dont on est porteur, c’est véritablement être un homme libre. En ce sens n’est donc pas libre celui qui doit consacrer sa vie à subvenir aux nécessités de la vie, celui dont le corps est un outil, c’est-à-dire l’esclave ( « outil vivant » selon Aristote), mais aussi celui dont l’activité intellectuelle est une activité nécessaire, parce qu’il en vit ( cf. sophiste vendant son enseignement ).

Dans la société de masse qui est la nôtre ( que Arendt oppose à la société grecque antique ), les loisirs sont intégrés au processus vital : ils ne sont pas du temps dont nous disposons pour la culture, mais un moyen de « passer le temps », de se divertir ( cf. Marx, un élément de la reconstitution de la force de travail ) et ils s’inscrivent ainsi dans « le cycle biologiquement conditionné du travail » comme le travail lui-même et le sommeil. Il s’agit là d’un processus global : la société s’empare des objets culturels pour les rendre propres à la consommation et, pour cela, elle doit les transformer ( cf. transformation, par les mass-média, des objets culturels en marchandises de pacotille : digest, bande dessinée – il est plus agréable de lire Platon ainsi…- feuilletons « d ‘après… », etc. ). Ils deviennent alors des produits périssables, puisque produits de consommation ( le produit doit être englouti et oublié au profit de produits « plus frais » ! ).


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Travail et œuvre

 

Le travail est une activité qui correspond au processus biologique le plus fondamental : comme tel il correspond à la naturalité de l’homme et n’est donc pas spécifiquement humain. C’est un activité cyclique, une activité épuisante, toujours à recommencer, parce que le besoin revient de manière cyclique et parce qu’en permanence la nature menace d’envahir le monde humain.

L’œuvre, c’est l’antagoniste du travail. Elle est l’humanité de l’homme comme homo faber, ce par quoi le monde dans lequel l’homme vit est un  monde humain : l’œuvre fournit un monde artificiel d’objets. L’opposition entre le travail et l’œuvre est identique à celle entre le travail du chasseur et celui de l’artisan ( soumission au processus biologique / fabrication d’objets artificiels ).

A la différence du travail cyclique, l’œuvre est un processus qui a un terme. Elle suppose un projet, lequel s’achève dans un objet qui a une certaine durée, indépendant de l’acte qui l’a produit. Or la fabrication d’objets, aujourd’hui, dans l’industrie, est devenue travail, activité cyclique qui n’a ni début ni fin : le travailleur ne peut plus se rapporter au produit  de son activité comme à son œuvre. L’activité de l’ouvrier du monde moderne présente en effet les caractères suivants :

  • L’ouvrier produit des objets dont il ignore la forme ultime
  • Les outils ne sont plus que des instruments de mécanisation du travail  (l’outil prolonge la main qui le guide, la machine utilise la main comme un moyen )
  • Impossible de distinguer les moyens et les fins ( cf. automatisation )

« L’automatisation transforme la fabrication en un processus naturel, si on appelle naturel ce qui est spontané, ce qui se fait sans l’intervention de l’homme » . Les machines servent-elles le monde et ses objets ou n’ont-elles pas commencé à dominer, voire à détruire le monde et ses objets ?

H. Arendt ne fait pas de différence essentielle entre ouvrage et œuvre. Les Grecs appréciaient les œuvres d’art, mais les artistes étaient pour eux des sortes d’artisans. Le travail de l’artiste n’est qu’un moyen qui disparaît entièrement dans la fin.

La culture suppose la capacité à œuvrer, c’est-à-dire le pouvoir de « créer et fabriquer un monde ». L’œuvre d’art n’est rien d’autre que ce pouvoir débarrassé de tout ce qui le rattache à la nécessité vitale.

 

Critique.  H. Arendt n’a-t-elle pas une conception restrictive du travail ? L’homme ne peut pas assurer sa vie biologique sans commencer par œuvrer. Pour subsister, l’homme ne peut pas se contenter d’accompagner le processus naturel : il doit commencer par fabriquer des outils qui, pour nous, restent bien souvent les seules traces de mondes humains disparus. Pour assurer leur cycle vital, les hommes fabriquent des outils, des habitations, des vêtements, etc. En ce sens, l’œuvre n’apparaît elle pas comme un des éléments essentiels du travail ? Le travail humain, c’est le travail tout court car les animaux ne travaillent pas.

Cf. Marx : « Le travail, de prime abord……..auquel il doit subordonner sa volonté ».

De prime abord, en effet, le travail humain peut sembler analogue à l’activité instinctive des animaux. Mais Marx précise : chez l’homme c’est du travail parce que c’est une activité finalisée. Et selon les définitions même de Arendt, c’est une œuvre. Même le travail agricole présente les aspects de l’œuvre : l’agriculteur produit par son activité patiente ses moyens de travail, ses semences, les espèces qu’il élève et il transforme la nature pour en faire son monde. Cf. les paysages de campagne ne sont pas des purs produits de la nature mais le résultat de la transformation de la nature par l’activité humaine selon un plan préconçu.

Même dans les conditions inhumaines de l’industrialisation, en même temps que l’ouvrier y a été, le plus souvent, réduit à une bête de somme, s’est développé un véritable « intellect collectif », union de la science, de l’habileté et du travail.


 travail culture

 

Travail et Bildung ( Hegel )

 

Les besoins ne sont pas de l’infra-humain, mais ils entrent déjà dans la culture selon Hegel. L’homme dépasse d’emblée, sur le terrain de la dépendance naturelle, sa condition naturelle. La multiplication des besoins, leur différenciation et leur abstraction, c’est déjà l’entrée dans le monde de l’esprit. La manière dont les hommes se vêtent, se nourrissent, se logent n’a, très vite, rien à faire avec l’utile, mais avec quelque chose comme le luxe. Cf. Marx : l’homme civilisé, c’est l’homme riche en besoins.

De même, le travail est le moyen de satisfaire les besoins. Mais on ne peut pas le réduire à une simple dépense d’énergie dans un rapport biologique. Les besoins concrets sont des besoins sociaux, ils ne sont pas satisfaits par un  rapport de l’homme à la nature, mais par un rapport social. L’homme se place au-delà de la nature par le travail. Le travail est d’emblée la condition humaine de l’homme parce que :

  • Il libère l’homme de la contrainte naturelle
  • Il le fait en le mettant en relation avec d’autres hommes
  • Il le pousse à développer ses potentialités spirituelles

C’est parce qu’il est le fondement de toute culture que le travail ouvre l’homme au monde de la culture.

Arendt distingue l’œuvre du travail par l’objectivité, mais Hegel définit le travail comme habitude de l’activité objective et par la durabilité. Les oeuvres s’inscrivent dans la durée, elles témoignent de l’histoire de l’humanité ;

Le rapport au travail, à la « belle ouvrage » hérité des sociétés précapitalistes n’a plus aucun intérêt dans la société de la précarité, de la mobilité et du prêt-à-jeter et c’est cela qui constitue la crise de la culture.

 

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