Introduction au Livre V de L'Ethique à Nicomaque

Publié le par lenuki

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La composition de l’Ethique à Nicomaque a l’allure d’une ascension : elle suit une haute progression par les vertus morales et dianoétiques, ou ce qui les fortifie (livres II-IX) vers l’objet final de l’éthique, défini au livre I et étudié au livre X, le bien-vivre. Cette progression donne ainsi une structure circulaire à l’œuvre : le dernier livre revient sur le premier, la pensée s’y achève en déterminant la fin de l’éthique. En même temps, l’Ethique à Nicomaque articule  le politique et l’éthique. S’ouvrant sur l’idée du Souverain Bien, et sur la politique comme science architectonique du « bien proprement humain », elle s’achève en introduisant les livres de la Politique. Le bonheur est cette idée nominale qui constitue la fin de toutes les activités et le sens de l’existence humaine, fin ultime qui est formellement la même que la fin politique. On comprend donc l’importance de la question de la justice dans l’ensemble des livres sur l’éthique.

Le livre V constitue un traité sur la justice. La considération de la justice vient clore l’examen des vertus morales, commencé au livre III et poursuivi au livre IV. Aristote choisit de consacrer tout un livre à la vertu de justice (dikaiosunè). Mais tout l’intérêt de ce traité sur la justice ( et de l’apport d’Aristote à la philosophie du droit) consiste à dégager la justice de son approche exclusivement morale. Aristote propose ainsi une série de distinctions importantes entre la justice générale, vertu de justice ou justice légale, et la justice particulière qui se définit de façon privilégiée non pas par rapport à la loi mais par rapport à la notion d’égalité. C’est cette seconde espèce de justice qu’il privilégie, en la subdivisant à son tour en justice distributive et justice corrective.

La justice est une question controversée. Aussi a-t-on cru que, comme pour n’importe quelle autre question pratique, tout s’y ramenait à la convention : « Les choses belles et les choses justes qui sont l’objet de la Politique, donnent lieu à de telles incertitudes qu’on a pu croire qu’elles existaient seulement par convention et non par nature » (livre I). Cet avertissement définit bien la position d’Aristote. Entre la voie paresseuse du conventionnalisme, défendue par les sophistes, et l’universalisme abstrait de l’ontologie platonicienne, Aristote défend une rationalité pratique qui concilie la sagesse du langage et le savoir philosophique,  l’éthique et la politique, la nature et la loi. C’est pourquoi on peut tenir le chapitre 10, où Aristote aborde la question du droit naturel, come le sommet de tout le traité sur la justice.

Le livre V comporte deux parties. Après un premier chapitre consacré à des considérations de méthode, Aristote procède, du chapitre 3 eu chapitre 10, aux divisions objectives du juste et de l’injuste. Voici comment cette partie s’organise. Aristote traite d’abord des espèces de la justice. Au chapitre 2, il distingue deux sens aux mots de « juste » et de « injuste », qu’il examine successivement : au chapitre 3, la justice universelle ou légale et aux chapitres 4 et 5, la justice particulière ou, pour ainsi dire, la justice-égalité.

Aristote procède ensuite à la subdivision de la deuxième espèce de justice. La chapitre 6 est consacré à la justice distributive, le chapitre 7 à la justice corrective. Le chapitre 8 complète l’analyse de la justice particulière en examinant le rapport entre justice et réciprocité, c’est-à-dire principalement le rôle de la monnaie dans l’établissement de la valeur. C’est ce sens du juste que la tradition a appelé « justice commutative ».

Aristote revient pour finir, au chapitre 10, à ce qui constitue l’objet de traité, la justice politique, et où il expose une théorie originale du droit naturel.

Dans la seconde partie, Aristote aborde plutôt les « dispositions subjectives requises pour la justice », distinguant par exemple entre l’acte injuste et l’acte d’injustice, et examinant un certain nombre d’apories liées au caractère volontaire ou de bon gré de l’acte juste. C’est dans cette seconde partie qu’on trouve le chapitre consacré au rapport entre la justice et l’équité, que certains commentateurs ont choisi de considérer comme la conclusion du traité.

Publié dans textes oral

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